Un bébé chimpanzé retiré à sa mère dès son plus jeune âge pour être élevé comme un enfant humain : voilà un point de départ plutôt alléchant. La Planète des singes : les origines en tirait récemment un film de science-fiction. Voici maintenant Le Projet Nim, qui en est en quelque sorte le (médiocre) pendant documentaire.
Pour ce biopic animalier, James Marsh adopte la formule éprouvée « témoignages + images d’archives », dans sa variante fictionnalisante (ayant donc occasionnellement recours à la reconstitution). Ces trois types de sources racontent de façon parfaitement linéaire la vie du chimpanzé Nim, livré à différentes mères adoptives au cours des années 1970 et qui apprit à communiquer grâce au langage des signes. Le récit, excessivement huilé, se résume à une série de blocs axés chacun autour d’un enjeu narratif. Alors que les différents témoins se suivent devant la caméra, les images filmées ou photographiées à l’époque des faits viennent simultanément ou successivement confirmer leurs dires. Une histoire intrigante et des documents parfois assez beaux sont donc réduits à la fonction de rouages au sein d’un récit ronronnant. Les quelques moments où les images pourraient servir de support à des émotions singulières et plus ténues sont pollués par une bande-son redondante voire emphatique qui vient impitoyablement grignoter l’espace mental du spectateur.
Comme tant d’autres films s’inscrivant dans le même registre, Le Projet Nim négocie mal le mélange des genres : plutôt que de s’enrichir du frottement de données brutes et de leur modelage, il perd les avantages des unes comme de l’autre. Les émotions ici sont loin d’être aussi riches que dans une fiction réussie, et en même temps, le film ne laisse aucune possibilité aux images documentaires de déployer leurs ambiguïtés. Ce manque de recul par rapport à la valeur de l’image et du témoignage, s’il caractérise bien 95 % de la production documentaire, ne laisse pas d’exaspérer. Pauvreté du signifié et captivité du spectateur en sont le résultat.
Dans une certaine mesure, le film peut cependant être apprécié en tant que plongée amusante dans l’atmosphère de laisser-aller caractéristique des années 1970. Dans le cadre de ce qui est censé être une expérience scientifique, Nim et sa première mère sont livrés à eux-mêmes et suivis seulement de loin par le laboratoire de recherche. Puis le chimpanzé est arraché à cette première garante pour être pris en charge par une chercheuse. Et ainsi de suite. L’absence de projection dans le futur qui caractérise toutes les décisions dont Nim fera les frais est peut-être le seul aspect qui continuera de laisser songeur après la projection, car si notre époque a pris un visage plus autoritaire, elle ne paraît pas plus réfléchie que celle-là.
La mise en scène de James Marsh en elle-même touche juste sur un seul point : sa représentation des témoins. Filmage en studio, éclairage et maquillage léchés, cadrages serrés, travellings dramatisants : cette mise en scène n’est pas exempte de lourdeur, mais a au moins l’avantage de mettre en relief chaque visage pour donner naissance à une sorte de galerie de personnages, dont le pittoresque est renforcé par la confrontation de chacun avec ses avatars passés. La palme revient au professeur Herb Terrace, instigateur de l’expérience, qui est présenté comme un homme manipulateur, arrogant mais aussi brillant et parfaitement maître de son image. Dans ce portrait seul, Le Projet Nim touche à quelque chose de digne du grand écran.