La bande-annonce cinéma a beau jeu de rappeler la carrière de documentariste du réalisateur James Marsh ; c’est oublier un peu vite qu’il a déjà œuvré dans le domaine de la fiction, notamment pour le deuxième segment de la trilogie Red Riding. C’est aussi, plus « subtilement », pour orienter, déjà, le regard du spectateur : en effet, Shadow Dancer se pique de réalisme, d’une crédibilité qui est toujours mise à rude épreuve dans le sous-genre du « thriller de taupe ». De ce côté-là, le pari est gagné : pour autant, le film manque de chair, et peine à exister au-delà de ses rudes présupposés narratifs.
D’un côté, il y a Colette, membre active de l’IRA, finalement cueillie par le MI5 après avoir tenté de placer une bombe dans un train. De l’autre, il y a « Mac », agent du MI5, qui propose à Colette une alternative : renseigner ses services sur les agissements de l’IRA, ou partir en prison pour de nombreuses années. Une fois le pacte scellé, le film se déploie.
Il s’agit donc, pour James Marsh, de traiter son sujet à la façon de la série Sur écoute. Jouant sur les codes attendus du genre, une connivence s’établit entre le spectateur et le réalisateur, le premier jouant un rôle omniscient, le second se chargeant de lui donner toutes les clés pour assister au désastre annoncé. Car le pacte existe également à ce niveau narratif : une telle histoire ne vaut la peine d’être racontée que si elle est vouée à l’échec – pour une partie, l’autre, ou les deux. Nous assistons à la partie de poker en voyant les mains de tous les joueurs. Par essence, le « film de taupe » est donc un genre irréaliste, dans lequel la stylistique narrative sert à mettre en exergue les moments de tension – tout cela lassant, à la longue.
Que faire, alors ? Certains vont complexifier leur récit, perdre le spectateur qui devra discerner, tel un lecteur d’Henry James, « l’image dans le tapis » – le récent La Taupe en offre un bon exemple. Certains pimentent même de tels films d’éléments d’action survoltés (les Jason Bourne, par exemple). James Marsh tente une approche qui, si elle n’est pas originale en soi (on en revient à citer l’univers anti-manichéen et très détaillé de Sur écoute) est peu commune au cinéma : aplanir son récit, éviter les aspérités narratives sur lesquelles se basent les rebondissements habituels, pour verser plus volontiers dans un portrait quotidien, ambigu, des protagonistes.
À la photographie, on retrouve Rob Hardy, qui croise la froideur discernée dans son travail sur Boy A avec l’aspect suranné du premier segment de la trilogie Red Riding : la grisaille de la région de Belfast prend des airs de film de famille sans apprêt. Tout concourt donc à donner un aspect immédiat, réel, à l’image et au récit – tout, y compris la progression narrative qui se joue des attentes pour nous emmener dans une direction qui est, pour le coup, inattendue et bienvenue.
Malheureusement, cet étonnement final semble être le but à atteindre pour James Marsh : ce qui se passe avant ne semble pas l’intéresser, sinon pour supporter sa progression narrative volontairement neutre. À trop vouloir s’écarter des tics sensationnalistes de la mise en scène du « film de taupe », James Marsh oublie de donner de la chaleur humaine à ses personnages. Malgré sa conclusion intéressante, Shadow Dancer a donc tout de l’exercice de style : professionnel, érudit, conscient de ses limites et jouant avec elles, mais trop froid. Le réalisateur semble pris au piège de ses propres choix esthétiques, et ne nous offre finalement qu’une histoire à la mécanique trop bien huilée, forcément sur papier glacé.