Catherine Corsini avait fait ses preuves en matière de comédie avec La Nouvelle Ève, qui jouait avec brio des rythmes et des chutes réelles et métaphoriques de ses personnages à la manière d’un Charlot. Moins imaginatifs que son avant-dernier film, ces ambitieux sont des clichés ambulants que les pointes d’humour certaines n’arrivent pas totalement à sauver.
Judith vit à Paris, Julien à la campagne. Maîtresse femme, elle croque ses auteurs comme les hommes, avec peu d’indulgence et de retenue. Lui, évidemment, est un petit libraire de campagne rêvant de faire partie des rangées livresques qu’il conseille chaque jour. Elle crée le système quand sa méconnaissance du monde de l’édition en fait un candide. Mais la femme forte, incapable de stabilité en couple, va révéler ses faiblesses. Et l’homme dominé va révéler un caractère et une sensibilité moins creuse qu’on ne l’imaginait.
Catherine Corsini a un vrai talent, celui du méli-mélo, des quiproquos, fondements de la comédie : elle a choisi également deux acteurs au mieux de leur forme, Karin Viard (qui était déjà son Ève en 1998), et Éric Caravaca, peu employé dans les comédies et qui devrait l’être bien davantage après un tel rôle. Le film débute sur un malentendu identitaire plutôt réussi : Judith envoie une sbire pour recevoir Julien qui monte à Paris pour l’entretien dont il rêvait depuis des lustres. Découvrant le pot aux roses, Julien attend des excuses, fasciné néanmoins par la personnalité de Judith, et le pouvoir qu’elle représente.
La réalisatrice sait jouer des situations basiques : Judith sera découverte par son amant officiel dans les bras d’un jeune blanc-bec, Julien se fera régulièrement avoir par un ancien ami, par le destin… et par Judith. Elle tente même d’insuffler un peu plus de relief à ses personnages en créant une rupture permanente entre ce qu’elle montre, et ce que les personnages montrent d’eux-mêmes, c’est-à-dire pas grand-chose. Elle filme leurs visages, leurs gestes, leurs corps, et souligne ainsi l’importance de la gestuelle comme l’égocentrisme de Judith et Julien. Enfermés dans des mondes différents, la représentation pour elle, le secret pour lui, ils ne se croisent que pour se révéler l’un à l’autre, et chacun au monde. D’un dialogue de sourds, très sec et rapide, on arrive à de réelles discussions : le langage agit aussi comme un catalyseur, les mots, menteurs au départ, reflètent peu à peu le dialogue intérieur des deux entités. Leurs différences se rejoignent presque : alors que Julien vit dans la lenteur, de mouvement et de compréhension, Judith se perd dans la vitesse.
Malgré les moments réellement drôles qui parcourent ça et là Les Ambitieux, le manque d’épaisseur des personnages comme la prévisibilité du scénario se fait cruellement sentir : Judith veut tout dominer, professionnellement, affectivement et sexuellement. Mais les plus grandes armures se fendent et changent la pierre en artichaut. Comme elle a eu un problème avec son père, elle est forcément en manque d’affection et cache son malheur derrière de l’autorité. Comme ils ne pouvaient pas s’entendre, ils vont s’aimer. Forcément, trop forcément. Les contraires s’attirent, dit-on. On sourit parfois de ce marivaudage, mais on n’est pas vraiment attiré par une histoire qui laisse si peu de place à l’imagination et à la surprise.