Rachel (Virginie Efira), employée de bureau vivant à Châteauroux, est séduite par Philippe (Niels Schneider), spécimen fringant de la haute société, qui refuse de l’épouser en raison de sa classe sociale. Elle tombe enceinte et élève seule sa fille, Chantal, caressant l’espoir qu’elle soit reconnue par son père. Catherine Corsini dépeint ainsi quarante ans d’un amour difficile et s’aventure sur un terrain où Lucas Belvaux avait déjà échoué en 2014 avec Pas son genre, chronique d’une liaison infortunée entre un dandy parisien et une coiffeuse de province.
D’un côté comme de l’autre, les deux longs-métrages partent d’un postulat déterministe, et souffrent d’un « propos ambigu, qui assimile une distinction sociologique à un facteur nécessaire de séparation ». Tout comme un philosophe et une coiffeuse ne sauraient faire bon ménage, Rachel et Philippe ne peuvent être ensemble, la classe aisée ne se mélangeant pas à la classe moyenne. Les idées préconçues parcourent le film, mais il faut attendre la dernière scène pour saisir pleinement les intentions de la cinéaste. À la manière d’un tract, le monologue affecté de Chantal exprime l’histoire du « rejet social », faisant des revers de sa mère les symboles d’une cause. Plus que la simplicité du discours, c’est la maladresse avec laquelle il se déploie qui pose question.
Préjugés et archétypes
Là où Rachel est une employée de bureau provinciale et forcément sotte, Philippe, issu d’une famille aisée, se révèle quant à lui naturellement cultivé et polyglotte. Pendant la première heure et la première décennie (Un amour impossible prenant les atours de grande fresque), de tels clichés se justifient par le temps de l’action, à savoir les années 1950. Mais Rachel et Philippe vieillissent sans que l’évolution de la société et des mœurs n’aient de prise sur eux, ce que l’on constate jusque dans les tenues vestimentaires de Rachel (qui se vêt de la même manière dans les années 1980, que dans les années 1950). Engoncés dans leurs archétypes, elle sera toujours aux crochets de Philippe, et lui l’homme érudit et fuyant, qui va-et-vient comme il le souhaite.
Alors que le choix d’élever un enfant seule, hors de la structure patriarcale et de l’institution du mariage, paraît éminemment moderne, mère et fille ne sont définies qu’en fonction du personnage masculin et l’héroïne, de vingt-six à cinquante ans, ne parvient pas à constituer un seul souvenir qui ne soit lié à lui. La finalité du personnage réside dans son désir de maternité, rappelant la plus ambiguë des affirmations de Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra, que Philippe cite à plusieurs reprises, enjoignant Rachel d’adhérer à ses préceptes : « L’homme pour la femme est un moyen : le but, c’est toujours l’enfant. » Si la femme est définie, tantôt par l’enfant, tantôt par l’homme, ce dernier se présente comme une réminiscence du fatal man de la littérature victorienne : l’homme dominant vs la femme dominée.
Des mécanismes obsolètes
Chaque séquence repose ainsi sur la même construction : l’héroïne attend toujours Philippe, dans son appartement, dans la maison où elle élève Chantal, du haut de la tour où elles déménagent un peu plus tard. Ce parti-pris appesantit l’ensemble, les copier-coller de scènes donnant au long-métrage un aspect étrangement statique. On retrouve aussi cette maladresse dans la littéralité avec laquelle sont filmés les rapports de force, les jeux de plongées/contre-plongées illustrant à eux seuls les différences entre Philippe et Rachel. Ajoutons à cela la voix-off, qui énumère ce que le spectateur comprendrait aussi bien en son absence, et les séquences de lecture des lettres que Philippe adresse aux personnages féminins. Déclamées sur fond blanc, celles-ci s’insèrent difficilement dans le scénario et brisent le rythme de la narration. Étonnamment, c’est au cœur de ce magma de mécanismes obsolètes que l’on décèle la seule séquence accouchant d’une véritable idée : peu après leur rencontre, Rachel et Philippe vont au cinéma voir Ascenseur pour l’échafaud, et celle-ci contemple, sans le savoir, son propre destin, dans une scène où Jeanne Moreau tente de briser les barreaux qui la retiennent.
Le retournement de fin (la révélation des abus du père sur sa fille), est, ici encore, problématique, précisément parce qu’il n’a d’autre but que de relancer l’intrigue et l’intérêt du spectateur. Les sujets du viol et de l’inceste sont rapidement occultés, et le monologue de Chantal laisse en bouche un arrière-goût de malaise. On pourrait certes arguer que la cinéaste dénonce les relations abusives et le sexisme d’une certaine époque, mais dans ce cas, pourquoi les derniers mots de Rachel absolvent-ils les travers de Philippe, sous-entendant que l’amour excuse tout ?