Après Amadeus, Valmont, Larry Flynt… Milos Forman va de nouveau s’intéresser à un personnage qui a marqué l’Histoire. En choisissant Goya, Forman nous livre le portrait d’un homme, d’un artiste dont l’œuvre a été imprégnée, directement et indirectement, par le remous des temps. Mais le désir d’aborder la grande Histoire et sa complexité dans un seul et même film, rend hélas l’ensemble peu convaincant, assommant et superficiel.
On le sait depuis longtemps, le cinéaste tchèque qu’est Milos Forman a passé sa jeunesse dans un pays totalitaire, où chacun se devait d’être ramené à la mesure de chacun. D’où son goût prononcé pour les excentriques, les originaux et tous ceux qui bousculent les normes et l’ordre établi, en mettant tout simplement un peu de couleur et de fantaisie dans le gris soigneusement uniformisé. Mais avec Goya, la donne change légèrement : ce n’est pas l’artiste bousculant l’ordre établi qui intéresse Forman, mais plutôt le témoin de l’Histoire, tel un regard sur les remous du monde.
Le film commence à un moment où l’Inquisition, par peur des idées philosophiques venant notamment de France, souhaite durcir ses agissements. Une des muses de Goya, par ailleurs fille d’un très riche marchand, se voit injustement accusée d’être hérétique. Goya profite de sa position d’artiste privilégié pour tenter de trouver une issue à cette affaire absurde, en cherchant notamment à se faire aider par le Frère Lorenzo, inquisiteur fanatique dont il est en train d’exécuter le portrait.
Mais la position du peintre est ambiguë : il côtoie les princes et est apprécié pour son talent par certains hauts dignitaires de l’église, mais son style qui se refuse à embellir la réalité n’est pas du goût de tout le monde et choque ceux qui, en commandant leur portrait, souhaitent que l’on donne d’eux une image avantageuse. Goya est proche de la réalité, se refuse à embellir, mais constate et, certaines fois, déplore, les horreurs qui s’imposent à son regard. Forman choisit de nous montrer un Goya mesuré, inquiet et modérateur. Le peintre incarne la nuance au milieu du déchaînement des idéologies. Il est petit à petit dépassé et assommé par ce qu’il voit.
Le personnage de Goya, dans ce film, ne surplombe pas le récit, n’est pas le centre de tout, et ne bénéficie d’ailleurs pas de la part de Forman d’un traitement privilégié, puisque le frère Lorenzo est autant le personnage principal du film que lui. Goya est un oeil extérieur aux événements politiques qui agitent l’Espagne à cette époque. De l’Inquisition à Napoléon, jusqu’au retour de la monarchie, Goya a pu constater que des régimes soi-disant différents charriaient pourtant avec eux leur lot de cadavres et de sang. De là, cette volonté farouche qu’a Forman de renvoyer les fanatiques dos à dos et de considérer au fond que ce sont les mêmes. Le personnage de Frère Lorenzo, incarné par l’effrayant Javier Bardem, jouera sur tous les fronts, défendra une par une les causes les plus antagonistes, épousant les thèses de l’Inquisition la plus virulente puis celle de la Révolution Française.
Mais Forman ne cherche pas à s’engager sur le terrain historique et philosophique. Il choisit de mettre en scène, et souvent avec brio, des séquences de violence et d’abomination, mettant à rude épreuve les tripes du spectateur, à défaut d’ébaucher une réflexion plus profonde sur la perversité des systèmes politiques qui se considèrent comme représentants du bien absolu. Forman n’a pas pour ambition la déconstruction des idéologies mais, çà et là, et avec plus ou moins d’intelligence, aime à mettre son doigt sur l’absurde, véritable trou d’air inhérent à tout dogmatisme. En cela, toute la scène du début, évoquant les horreurs de l’Inquisition, est traitée non pas avec intelligence, mais avec brio : elle met les nerfs et le flux cardiaque du spectateur en ébullition, en composant un savant mélange d’horreur et de jubilation.
Mais ce juste dosage qui fera le succès de ce début de film, disparaît au fur et à mesure que le temps passe. Les différentes thématiques abordées s’accumulent et s’écrasent entre elles, rendant la pertinence de chacune difficilement perceptible. Trop d’histoires et de sujets sont esquissés en trop peu de temps, et l’on éprouve alors le plus grand mal à s’imprégner de ce qui se passe, à appréhender les différents personnages. La tentative d’insérer un drame individuel au milieu du drame collectif de l’Histoire ne pourra alors que tomber à l’eau, et ce malgré l’intensité du jeu de Natalie Portman, pure beauté fragile anéantie par les délires des inquisiteurs.