Dans Amanda, son précédent film, Mikhaël Hers mettait en scène l’évolution de la relation entre deux personnages endeuillés (une petite orpheline et son oncle) et le chemin qu’ils parcouraient pour se reconstruire. Les Passagers de la nuit prolonge cette idée en faisant le récit de la rédemption d’une femme (Charlotte Gainsbourg) abandonnée par son mari, rescapée d’un cancer du sein et sans emploi, qui s’occupe seule de ses deux enfants. C’est en rencontrant Vanda (Emmanuelle Béart), une animatrice de talk-show nocturne sur France Inter qui lui offre un job, et surtout Talulah (Noée Abita), une jeune auditrice vivant à la rue qu’elle recueille chez elle, qu’Élisabeth ramène la lumière dans son foyer. Ces connexions en engendrent de nouvelles, et le cinéaste de dessiner une fresque sociale qui figure la manière dont les rencontres transforment les uns et sauvent les autres. Par son ancrage dans un cadre historique précis (le film se déroule pendant le premier mandat de François Mitterrand), Hers semble même esquisser une réflexion politique en ressuscitant un monde où aurait existé un système d’entraide mû par la bonté. Est-ce l’expression d’un désir de société ou le cinéaste fait-il œuvre de nostalgie pour des années mitterrandiennes qui auraient réellement été le théâtre d’une dynamique collective vertueuse ? Le film joue de cette ambiguïté : si le propos est explicitement historicisé (des images d’archives s’insèrent notamment dans le montage), la mise en scène assume aussi une forme d’onirisme que soulignent les décors modernistes, la musique vaporeuse aux accents électroniques, les cadres esthétisants et un montage aux effets appuyés (surimpressions, fondus, alternance des formats d’images). Les personnages semblent ainsi progresser au sein d’une utopie sociale, celle qui naquit de l’espoir suscitée par la victoire de la gauche en 1981, dont l’ouverture du film ravive le souvenir.
Cet élan initial n’est jamais infléchi (quand bien même le récit se prolonge jusqu’en 1988, bien après le tournant de la rigueur), et l’emphase avec laquelle est dépeinte la capitale française n’est pas sans interroger. Paris est filmé comme l’expression même de la pensée politique que recouvre le programme commun : une ville ouverte où les sensibilités (de gauche uniquement) se croisent et s’aiment, à la bibliothèque municipale, à la piscine publique ou dans des parcs déserts (la ville est montrée essentiellement à travers ses lieux publics). Tout fait « trait d’union » entre les individus : l’argent que l’on se prête, une chanson populaire qu’on chante de balcon en balcon, une émission de radio, un vinyle, un livre, jusqu’aux compliments qu’on ne cesse de formuler à l’autre. Un optimisme social et humaniste qui semble être ici imposé au forceps d’autant que la douceur qui caractérise la mise en scène du cinéaste semble, soit trop soulignée (une cicatrice que l’on caresse et érotise), soit être la marque d’un certain détachement. Les points de tension, comme les ruptures amoureuses, sont systématiquement éludés quand ils ne sont pas pleinement ellipsés. Gommant toute aspérité, le cinéaste ne laisse infuser aucun trouble, quand bien même la direction artistique ne cesse de cultiver le mystère, en jouant du caractère noctambule des personnages. On pourra notamment regretter que l’amitié naissante d’Élisabeth avec la figure insondable de Vanda, ouvrant sur l’univers énigmatique de la radio nocturne, soit un peu laissée en plan par une narration qui préfère investir des relations amoureuses esquissées avec moins de finesse. C’est qu’au fond le caractère transcendantal de ces rencontres est plus énoncé que véritablement filmé et toutes ces mises en relation ne semblent pas avoir d’autre horizon qu’un bonheur très personnel – la cellule familiale, d’abord meurtrie, s’ouvre et, guérie, se referme, retrouvant à la fin son état initial.