Le troisième long-métrage de Mikhaël Hers était attendu : outre le succès d’estime que rencontre son cinéma, Amanda suscite également la curiosité par son arrière-plan brûlant – les attentats parisiens. Les premiers films de Hers reposaient pourtant sur des récits assez légers, d’où émanait une forme d’insouciance délestée de surenchère dramatique, malgré des sujets également douloureux : le deuil, la mélancolie, la fragilité du sentiment amoureux lors de ballades estivales ou durant de longues nuits parisiennes (on décèle, en surface, le souvenir du cinéma de Rohmer). Le point de départ scénaristique de ce film entraîne nécessairement un rééquilibrage – et ce de l’aveu même de son cinéaste, qui a repensé son découpage de façon à gagner en proximité avec ses personnages. Pourtant, le réalisateur ne semble pas avoir délaissé la forme de spontanéité esthétique qui caractérise son cinéma : cela se joue à des détails, notamment dans l’ouverture où le montage raccorde deux plans continus tournés de manière intermittente (le vent souffle dans un plan, faisant mouvoir les feuilles, et pas dans le second) ou encore aux champs-contrechamps asymétriques, donnant l’impression que les personnages regardent dans la même direction.
Réinvestir les lieux
Quelques séquences en particulier pourront éventuellement rebuter par leur manière de tirer sur la corde sensible : celle de David, le personnage principal, annonçant à Amanda, sa nièce de 8 ans, la mort de sa mère, Sandrine, ou encore celle de Lena, amie de David ayant survécu à l’attaque, paniquant lorsque des enfants jouent avec des pétards. Ces passages larmoyants ou affectés peuvent toutefois servir de point cathartique, avant l’introspection du trouble latent et intériorisé. Le film se révèle finalement bien plus poignant lorsqu’il confronte les personnages à l’absence, dans le quotidien, de l’être disparu – et c’est là tout l’enjeu du film : la prise de conscience de cette absence définitive et le ré-enclenchement d’une vie « normale », au présent (ou tournée vers l’avenir). Juste après l’attaque, alors que David et Amanda déambulent dans la capitale, le temps semble s’être suspendu : au bord de la Seine, un bateau-mouche les dépasse dans l’arrière-plan, donnant l’impression qu’ils marchent à reculons. Leur quête sera donc aussi le réinvestissement des lieux parisiens (et notamment les espaces naturels) au risque parfois de se perdre dans la visite touristique (le Paris « carte postale »).
Rayon de lumière
Le fait de situer l’attaque dans un parc n’est d’ailleurs pas anodin, étant donné leur importance dans le cinéma de Hers : lieu de vie dans ses précédents films, il devient ici – temporairement – un lieu de mort, qu’il faudra à nouveau revitaliser. Certaines séquences-clés d’Amanda se déroulent en conséquence dans un parc : l’orphelinat dans lequel David songe à placer Amanda est situé sur une butte évoquant la clairière de Saint-Cloud (qui fut le théâtre principal de Memory Lane) et, surtout, le plan final du film, suggérant une (possible) réconciliation : des badauds détendus, flânant dans un espace vert. Cette réconciliation gouverne également le trajet de la jeune Amanda – renouer avec soit-même, faire son deuil. En cela, la séquence finale évoque assez sensiblement la dernière – et belle – scène du Rayon vert d’Éric Rohmer : David et Amanda sont à Wimbledon pour assister au tournoi de tennis et, durant l’échange, la fillette est soudainement anéantie (tout comme Delphine dans Le Rayon vert, qui attend désespérément le faisceau lumineux émeraude émanant du soleil couchant). Ses larmes de peine se transforment pourtant en larmes de joie, avant qu’un petit rayon éblouissant ne traverse l’écran (émanant des projecteurs télévisés). Cette séquence, à la fois douloureusement frontale et subtilement pudique, scelle la quête affective du personnage – le point de chute salvateur, l’acceptation de ses propres émotions refoulées tout au long du récit. Si Amanda n’évite donc pas certaines maladresses, le film est toutefois porté par une vivacité d’écriture et d’exécution au service de ses personnages, mettant partiellement en retrait son arrière-plan politique.