Après trois moyens-métrages remarqués : Charell en 2006, Primrose Hill en 2007 et Montparnasse en 2009 (prix Jean Vigo), Mikhaël Hers évoque son cinéma et en particulier son premier long-métrage Memory Lane.
Peut-on voir Memory Lane comme une variation, une émanation de Primrose Hill ou alors ce dernier comme l’esquisse du premier ?
C’est vrai que ce sont les mêmes thématiques, les mêmes lieux, il y a beaucoup de points communs entre les deux films, il y a un univers « film d’été ». J’ai l’impression que dans Memory Lane, on retrouve des éléments qui me plaisait beaucoup dans Montparnasse et Primrose Hill, j’avais expérimenté des choses dans ces deux films que j’ai essayées de restituer dans Memory Lane.
Dans vos films il y a quelque chose de l’ordre de l’espace, du spatial ; vous avez ainsi dû entendre les louanges de Luc Moullet à votre sujet, qui fait de vous le grand cinéaste de demain. N’y aurait-il pas un lien souterrain dans cette manière d’appréhender les territoires, de les parcourir ?
Je suis un peu gêné car je ne connais pas vraiment ses films. J’ai vu Anatomie d’un rapport que j’adore ainsi que son dernier film La Terre de la folie. J’en ai vu d’autres aussi, il y en a trois-quatre comme ça que j’aime beaucoup mais je ne suis pas un connaisseur, j’ai un peu honte de le dire d’ailleurs. En tout cas mon imaginaire part souvent des lieux, c’est la première chose à laquelle je pense. Après il y a des parcours qui s’installent, des personnages qui arrivent : ce sont des lumières, des saisons, des endroits dans lesquelles j’ai grandi, que j’ai pu arpenter. Pour moi, Memory Lane est presque un prétexte pour revenir sur des lieux, les réinvestir, prolonger une époque.
Pouvez-vous nous parler de cette mise en perspective qu’il y a dans le film entre d’un côté Paris et de l’autre la banlieue ouest, celle que vous connaissez avec le parc de Saint-Cloud notamment et l’arrière-plan panoramique de Paris ?
Il y a des perspectives cinégéniques, assez chouettes. Il n’y a pas beaucoup à travailler, il y a des choses d’une nature très différente qui se côtoient, très urbaines, des grands ensembles et puis des choses plus boisées, plus fleuries. Je trouve qu’à l’image, cela crée quelque chose de singulier, c’est-à-dire qu’on pourrait être en province. Mais en même temps, on voit la tour Eiffel derrière, c’est assez surprenant. J’ai grandi là, c’est une émotion que je porte en moi, c’est des lieux que j’ai envie de filmer.
Est-ce qu’on peut définir votre cinéma comme un cinéma de « l’entre-deux » ? Qui serait d’ordre spatial (Paris, la banlieue), de saison (la fin de l’été, le début de l’automne), social (c’est la classe moyenne qui est représentée) et générationnel (ils ont entre 25 et 28 ans) ?
Je m’en aperçois, ce sont des films de périphérie, de l’entre-deux, oui ça me va très bien.
Dans un film de bande comme le vôtre (ou c’est le groupe qui constitue le film), comment faites-vous pour organiser, équilibrer le récit ?
Au montage on s’est posé beaucoup de questions : effectivement c’est un portrait de groupe. Très souvent, lors des avant-premières, les gens sont étonnés : on suit ce groupe sur une semaine, on les prend à un instant T, il y a plein de choses qui échappent, qui sont dans les interstices. Alors, les gens sont désarçonnés, ils aimeraient en savoir plus sur le passé des personnages, sur leurs histoires.
Comment travaillez-vous avec la « matière réel » et comment s’est passée votre collaboration avec votre co-scénariste Mariette Désert ?
Généralement, j’écris tout seul. Là, j’ai écrit la plus grande partie du scénario, la première version. Ensuite elle m’a aidé à élaguer, à retirer des choses, ce qui faisait doublon. Elle me disait : « Ça, c’est un petit peu en trop, c’est déjà contenu dans cette séquence-là. » Mais en l’occurrence ce scénario, la matière vraiment première, je m’en charge. Par ailleurs le film ressemble au scénario. Ce n’est pas de l’improvisation, tant dans les intrigues que dans les dialogues.
Qu’est-ce qui nourrit vos récits ? Quel est le point de départ ?
En fait, je n’ai pas beaucoup d’imaginaire pour les grandes histoires donc je parle forcément de choses de la vie quotidienne, de ce que j’ai pu connaître de manière proche ou même plus lointaine. Mais rien de tout ça ne m’est arrivé directement, ce n’est pas du documentaire. Je puise dans des choses qui sont à portée de main, c’est de cela dont j’ai envier de parler, c’est relativement a-spectaculaire mais c’est les seules choses que je me sens capable de filmer. Ce sont d’abord les lieux puis des sensations. Après, il y a des sous-intrigues : la naissance d’une relation amoureuse, l’irruption d’une maladie dans une famille, les répétitions d’un groupe de musique, la dérive d’un personnage en crise. Cela participe à un tableau d’ensemble, à une mosaïque, c’est quelque chose d’abstrait. D’ailleurs, on pourrait faire un film entier avec chacune de ces choses-là, mais c’est un portrait de groupe qui englobe le tout. En même temps j’ai l’impression qu’il y a un parcours dans chacune de ces sous-intrigues, que je ne laisse pas les choses dans un état de frustration totale, qu’il y a une pseudo-résolution. Il y a la possibilité qu’a une fille de formuler à son père qu’elle l’aime par exemple, c’est un personnage qui se cherche et qui se trouve à la fin.
Pouvez-vous nous parler de votre travail de mise en scène et de votre collaboration avec votre chef opérateur, Sébastien Buchmann ?
Ce qui me plaît dans un film, c’est souvent la confrontation des choses contraires. On parlait de la cohabitation de la nature et de l’urbain. Ainsi, j’aime l’idée de filmer des choses très ordinaires, de leur donner une beauté, une sur-réalité. Il y a plusieurs moyens de filmer un dialogue ordinaire : à l’épaule par exemple ou alors épouser un parcours de manière très fluide, très délicate, qui raconterait ainsi autre chose : cela donne une dimension, une ampleur à ces discussions très triviales, c’est ce que nous recherchons avec Sébastien. (Dounia Sichov entre dans la pièce et nous rejoint). Si on prend l’exemple du parc de Saint-Cloud qui est très sinueux, on ne pouvait pas installer de rails pour les travellings, c’est pour cela qu’on utilise la steadicam afin d’avoir cette fluidité dans les mouvements de caméra.
Comment travaillez-vous avec vos acteurs ? Quelle est votre direction ? Y a-t-il a des répétitions ? Laissez-vous place à l’improvisation sur le tournage ?
J’écris les dialogues et j’essaie de les modifier un tout petit peu avant les jours de tournage. J’aime les écrire, c’est comme une musique. Autant je n’ai pas d’imaginaire pour les intrigues, pour les histoires fortes, autant les dialogues je les entends et je les restitue ; je me dis que le personnage pourrait parler comme ça. J’ai l’impression que c’est une des choses les plus simples à faire. C’est même étrange, voire étonnant, d’écrire un dialogue faux. Il suffit de penser comment on dirait les choses et puis de le noter ! C’est relativement précis dans les dialogues mais je suis très ouvert à ce que les acteurs peuvent amener, aux mots qu’ils peuvent employer. Ce sentiment de vérité et de présent est ce qu’il y a de plus important. Ce n’est pas à la virgule près non plus. Mais ça arrive très peu qu’ils improvisent. L’essentiel c’est qu’ils trouvent leur ton, leur liberté d’exprimer ce qu’il y a dans le scénario.
Dounia Sichov : il n’y a pas eu de lecture avant. Des fois, au moment de tourner, on ne sait pas forcément que ce sera une scène dialoguée. Dans ce cas, avant la prise, on se met d’accord avec Mikhaël sur ce qu’on va dire. C’est une recherche à plusieurs mais avant de dire « action », on sait ce qui va se passer.
Comment est l’ambiance sur le tournage ? Est-ce qu’on retrouve cet esprit de groupe, à l’image du film ?
Dounia Sichov : on a quand même passé beaucoup de temps ensemble, de jours, de nuits aussi. Les ambiances de nuits, notamment, où il faut attendre que la lumière soit prête. Il faisait assez froid pendant le tournage, donc on essayait de se tenir chaud, on a beaucoup fait les zouaves, c’était léger et très bon enfant. Après, c’est le travail de Mikhaël qui a bien fait son casting, je crois. Il ne nous a pas choisis par hasard. On a tous à peu près le même âge, les mêmes problèmes, les mêmes préoccupations.
Mikhaël Hers : je suis là pour faire le lien entre eux. Après ils sont tous très différents mais je ne me pose pas vraiment la question de la cohérence du groupe, tout se fait assez naturellement sur des rencontres. Ce sont des gens avec qui je vais pouvoir partager un moment de ma vie, autour d’un projet et c’est cela qui crée la cohésion du groupe. Il n’y a rien de théorique, simplement quelque chose qui se passe et j’orchestre le tout. Il y a aussi une partie qui m’échappe, qui n’appartient qu’à eux, c’est leur travail de donner cette impression de complicité et ils le font bien.
Dans Memory Lane comme dans Primrose Hil précédemment, il y a une scène d’amour très frontale, tournée en plan-séquence, sans recadrage, qui procure au spectateurs, par son réalisme, une émotion, un trouble particulier. Comment abordez-vous ces scènes ?
Plus que de donner des tonnes d’indications, de mots, il faut essayer de faire comprendre que ce n’est pas une lubie, que c’est important pour moi. Donc ça marche pour cette séquence, mais ça peut marcher pour le reste aussi. J’ai l’impression que c’est quelque chose qui se transmet, qui se sent. Après, il y a un don incroyable, je n’en reviens pas que cela puisse donner quelque chose comme ça mais c’est eux qui le font, ils ont confiance dans le fait que ce soit important pour moi. On en parle toujours avant car on sait que ça va être une séquence particulière qui va être problématique, qui soulève des questions. Dans ces deux expériences-là, les acteurs ne sont jamais revenus sur leurs engagements, ils l’ont fait avec beaucoup de générosité et j’en suis le premier étonné.
On ne peut parler de votre film sans évoquer la musique qui l’accompagne. Votre culture musicale semble en effet avoir nourrie Memory Lane ?
J’ai l’impression de faire un cinéma musical, non pas à cause de la musique mais parce que les personnages s’inscrivent dedans. D’autres en sont extérieurs mais ils s’en imprègnent, comme on peut l’être quand nous sommes touchés par une mélodie. Mon obsession pour la musique transparait là-dedans. Après les disques ne nourrissent pas concrètement mon cinéma, mais la musique est mon obsession première. Cela peut transparaitre dans mes films de manière un peu fétichiste avec des clins d’œil, en mettant des morceaux que j’aime bien ou des pochettes de disques, mais cela reste anecdotique.
On ne peut s’empêcher, en voyant vos films, de penser à Éric Rohmer : vous avez en commun un cinéma de l’anti-spectaculaire, du presque rien, une attention portée aux lieux, aux sons extérieurs ambiants. D’ailleurs on retrouve dans Memory Lane des acteurs qui ont tourné avec lui : Marie Rivière et Didier Sandre. Quel est votre rapport à son cinéma ?
J’aime ses films, sa manière de filmer les lieux, l’idée qu’on puisse faire des films toute sa vie avec très peu de choses. Mais ce que j’aime avant tout chez lui, c’était sa façon d’aller dans l’intériorité des personnages. Ce qui m’a surpris lorsque je l’ai découvert adolescent : je trouvais ça étrange de pouvoir creuser des choses qui ne sont a priori pas nobles. Souvent, c’est l’envie d’être aimé. Il y a quelque chose qui peut paraître ingrat mais que je trouve très beau, qui me touche beaucoup dans son cinéma.
Quel lien entretenez-vous avec des cinéastes de votre génération comme Rebecca Zlotowski ou Sophie Letourneur, qui viennent également de sortir leur premier film ?
Je ne connais pas bien Rebecca. On s’est juste croisés, c’est surtout Sophie que je connais. J’aime beaucoup ses films. D’ailleurs elle a un petit rôle dans Primrose Hill. On tourne des choses différentes mais je me sens très proche de sa manière de faire du cinéma. Ses films ne ressemblent qu’à elle et c’est ce qui me touche énormément.