Sous un titre qui prône énergie et audace, sous une affiche qui joue la carte de l’irrévérence, et sous l’annonce d’une réflexivité cinématographique (un film dans le film avec des acteurs qui jouent leur rôle), Rock n Roll est une tentative de résistance face au poids du temps. Il ne cherche pourtant pas à rompre ou moquer, comme l’a fait subtilement Verhoeven avec Elle, les conventions dans lesquels le cinéma français commercial est embourbé — un cinéma basé essentiellement sur les jeux de mots tirés du stand-up (nos stars françaises actuelles sont des humoristes) et sur des clichés sociaux sur fond de quête identitaire (Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, Il a déjà tes yeux) — mais à s’aventurer dans une réflexion sur le paraître, également dans l’air du temps.
Le film, en effet, questionne ce sujet à la mode qu’est le nombrilisme, l’auto-représentation et l’image de soit, avec une démesure suffocante : Canet qui dédie un film tout entier à une exploration sur sa propre image, quitte à y associer ses propres images d’archives, summum d’une mégalomanie historienne — mêler sa mémoire à « l’histoire » de la télévision (interviews, cérémonie des César). Aucunement audacieux, Rock n Roll recycle au contraire les clichés habituels sur l’excentricité du cinéma et la crise existentielle (bref, une sorte de Birdman du pauvre, et le film s’ouvre, en hommage à son modèle, sur un plan-séquence qui s’enfonce dans les coulisses d’un tournage).
Lifting
Pour remodeler son image, et la « rajeunir », Guillaume Canet (l’acteur, le personnage, le réalisateur, on ne sait plus) entre dans un jeu forcé de débauche, d’alcool et de drogue. Ce premier artifice n’ayant pas fait illusion, il opte finalement pour la chirurgie esthétique. Durant sa première partie, Rock n Roll oscillait entre gags mollement fantaisistes et (faux) pacte d’authenticité (faire croire que Canet restitue une part de vérité sur lui-même). Un tel pacte était pourtant envisageable — non pas la restitution fidèle de son quotidien, restons sérieux, mais un partage franc par le cinéaste de ses inspirations esthétiques et de l’intimité de son art : inviter le spectateur à un voyage vers ses origines profondes, vers son « Rosebud » ; voyage esquissé au détour d’une séquence de rêve où Canet filme, tel Orson Welles dans Citizen Kane, un enfant jouant dans la neige vu au travers d’une fenêtre, à l’arrière-plan.
Le réalisateur a donc parsemé son film de quelques intentions de réalisation intéressantes, sans en tirer réellement profit. Son cri d’appel à réveiller le cinéma français et laisser la possibilité de créer quelque chose de nouveau sonne au contraire creux, tant Rock n Roll ne relève aucunement cette lourde tâche. Lors d’une séquence en effet, l’acteur-personnage, qui joue dans un film, accuse son réalisateur d’être dans la convention et de ne rien oser, au contraire d’un « vrai cinéma » qui devrait « prendre des risques », et jouer sur l’instantanéité des émotions. La meilleur chose que Canet trouve à faire à ce moment est de jeter un verre de vin au visage de sa partenaire, interprétée par Camille Rowe, dans le but de la surprendre. L’accusation sonne juste à cet instant, mais parait malvenue pour un film qui tire à deux mains la corde du superficiel. Le traitement du personnage de Marion Cotillard en est assez symptomatique puisque celle-ci, préparant le rôle de Juste la fin du monde de Dolan, se dote d’un accent québécois qui désamorce toute tentative de sérieux, et qui ramène constamment cette idée d’artifice, comme pour empêcher de déceler si Cotillard s’adresse à son partenaire de jeu, ou à son partenaire dans la vie.
Offre et demande
Cette artificialité est finalement renforcée par l’immaturité du personnage, et, peut-être, de son réalisateur, dont les touches de folies se résument à certaines séquences « musicales », c’est-à-dire affublées d’une lumière de discothèque sur fond de hit des années 80, le genre qu’on écoute aux soirées camping. Point d’orgue de cet habillage visuel, le brutal ébat sexuel entre Canet et Cotillard, qui révèle tout le cœur « beauf » et tape-à‑l’œil du film. Telle était peut-être la volonté de Canet : ne pas (re)devenir une figure incontournable de l’art cinématographique, mais une icône de la culture populaire.
Et pourtant, pour ne pas assumer pleinement cette volonté, le réalisateur donne à son film une tournure assez surprenante : après d’intensives séances de musculation et des injections au botox, le personnage devient physiquement méconnaissable, poupée de cire bodybuildée qui a réussi à littéralement embaumer son corps, selon la formulation d’André Bazin. Transformé en monstruosité plastique, le personnage devient un « Casanova », tel celui de Fellini, pantin de ses désirs et du désir des autres (le personnage de Marion Cotillard est d’ailleurs immédiatement émerveillé par ce tas de muscle).
Cette transformation, qui apparaissait comme une bonne idée, achève de rendre le film condamnable dans ses intentions. Tandis que le Canet du début du film se cherchait, tentant d’extérioriser son mal-être par la débauche et par une vilaine crise d’adolescence (le personnage se tatoue un code barre pour se rebeller contre la « société de consommation »), celui de la fin s’est transformé en vitrine de cette culture du paraître et de l’icône. C’est un peu comme les films Lego, qui se jouent d’une critique du capitalisme, même s’ils en sont des acteurs majeurs et que leur but premier est aussi de vendre des produits dérivés. Quand, après sa spectaculaire transformation, Canet clame à Cotillard qu’il est resté au fond le même, et qu’il est désormais en paix avec son corps, l’effroyable vérité éclate alors, confirmant ce qui a été entrevu : le film ne cherche pas à montrer une image séduisante de Canet ni à mettre en scène sa quête identitaire, mais à le replacer dans la cartographie de la jet set, quitte à opter pour une critique de l’apparence de circonstance. Convoquant stars d’hier (Johnny Hallyday) et d’aujourd’hui (Kev Adams, Marion Cotillard, Gilles Lellouche), Rock n Roll épouse la forme racoleuse de la loi de l’offre et de la demande.