Quand il tourne Les Sept Femmes de Barberousse en 1954, Stanley Donen a trente ans et déjà six films au compteur, dont deux ont révolutionné la comédie musicale : Un jour à New York (On the Town, 1951) et Chantons sous la pluie (1953). Il a dirigé Gene Kelly, Frank Sinatra et Fred Astaire. Et pourtant, la MGM ne lui fait pas suffisamment confiance pour cette nouvelle production, qu’elle qualifie de « série B », et ampute son budget de moitié pour le confier à Brigadoon, de Vincente Minnelli, dans lequel elle fonde tous ses espoirs. Heureusement, Stanley Donen avait plus d’un tour dans son sac…
Les coupes que la MGM imposa dans le budget de la production des Sept Femmes se ressentent essentiellement dans les décors de carton pâte très « vieil Hollywood » dessinés au fond de chaque scène. Stanley Donen était le premier, avec On the Town, à avoir sorti la comédie musicale hors des studios, et on imagine quel crève-cœur cela fut pour lui d’abandonner les paysages majestueux de l’Ouest américain — Les Sept Femmes de Barberousse étant un simili-western se déroulant dans une époque et un lieu indéterminés, au XIXe siècle. Le cinéaste raconte ainsi comment, dans la chanson « Beautiful Day » interprétée par Jane Powell, les oiseaux lancés pour tournoyer autour de l’actrice, pris dans la confusion, se jetèrent contre le faux ciel du décor… Si lors d’une diffusion télévisée, le problème peut passer inaperçu, on regrettera qu’une fois sur grand écran, ce versant un peu « cheap » du film ne rende pas justice à sa magnificence — il s’agit en effet de la première comédie musicale tournée en Cinémascope.
Les Sept Femmes de Barberousse, heureusement, ce sont bien plus que des décors. Le propos, comme souvent chez Donen, est détonnant. Voici Adam Pontipee (Howard Keel), grand fermier roux et quelque peu malappris, qui s’en vient chercher femme en ville : il trouve la perle rare en la personne de Millie (Jane Powell, délicieuse), la courtise en cinq minutes, l’épouse et la ramène chez lui… Sans la prévenir qu’il vit avec ses six frères, plus bourrus, sales et mal élevés encore. Millie prend les choses en main mais ne compte pas se laisser marcher sur les pieds. L’art du scénario des Sept Femmes est ainsi de naviguer entre une féroce misogynie (à prendre évidemment au second degré) — représentée à la fois par le personnage d’Adam et par les six jeunes femmes aimées des six frères, toutes plus bêtes et niaises les unes que les autres — et un féminisme exacerbé, où toute éducation ne peut venir que d’une personne, la femme — Millie en l’occurence — capable de s’adapter à la rude vie de l’Ouest américain tout en y apportant la civilisation…
Ce basculement thématique est incarné dans des scènes burlesques très drôles et des chansons aux paroles plutôt osées pour l’époque (écrites par le formidable Johnny Mercer), telle l’inoubliable « Sobbin’ Women », révision décalée de l’épisode mythique de l’enlèvement des Sabines :
Tell ya ’bout them sobbin’ women
Who lived in the Roman days.
It seems that they all went swimmin’
While their men was off to graze
Well, a Roman troop was ridin’ by
And saw them in their « me oh my »
So they took’em all back home to dry
Least that’s what Plutarch says.
(« Dans les temps anciens / Les Sabinettes / Leurs maris partis / Faisaient trempette / Les Romains / Les voyant ainsi trempées / Les emmenèrent / Pour les faire sécher / Plutarque l’a raconté. ») La censure finit même par intervenir, sans voir que la véritable ironie se trouvait ailleurs, pour changer le titre prévu à l’origine, jugé trop « inconvenant » (One Bride for Seven Brothers), et s’offusqua des paroles de la chanson « Lonesome Polecat » où les frères Pontipee s’attristent de leur sort : « Un homme ne peut pas dormir quand il dort avec des moutons. » Les temps changent…
Les Sept Femmes de Barberousse, l’une des dernières grandes comédies musicales classiques d’Hollywood, n’est pas encore le chant du cygne d’un genre qui disparaîtra lentement à partir de la fin des années 1950. Bien au contraire, on semble assister à un renouvellement bienfaisant : les chorégraphies orchestrées par le jeune Michael Kidd, semblent se tourner vers l’acrobatie virtuose plutôt que la danse traditionnelle ou les claquettes style Fred Astaire. Voir ainsi la mythique et très longue scène de la grange, où les frères Pontipee (dont l’un est interprété par Russ Tamblyn, futur héros de West Side Story) rivalisent d’habileté avec les « hommes de la ville » pour conquérir le cœur de leur belle. Ce qui inclut notamment — excusez du peu — des sauts périlleux sur de fines planches de bois à plusieurs mètres du sol ! L’ensemble des danses, extrêmement dynamiques, témoigne de la jeunesse de l’ensemble de l’équipe du film et de leur désir d’apporter un vent frais à Hollywood. Pari réussi, puisque cinquante ans plus tard, Les Sept Femmes de Barberousse n’a pas vieilli d’une ride.