La Lune de Jupiter fait partie de ces films qui ont un curieux pouvoir de séduction dans les festivals. Sans doute une vague impression d’originalité dans le mélange des genres (la sensibilité aux crises qui agitent le monde emballée dans un package fantastico-SF), alliée à la caution politique d’un sujet brûlant (ici, la crise des migrants) et, cerise sur le gâteau, un réalisateur originaire d’un pays, la Hongrie, dont on n’a que rarement des nouvelles cinématographiques. Pour être honnête, le pitch de La Lune de Jupiter est, sur le papier, sinon réellement alléchant, tout du moins intriguant, et sa présentation en compétition officielle à Cannes attestait a priori d’une ouverture et d’une curiosité là où l’on reproche la plupart du temps au plus grand festival de cinéma du monde de se limiter aux mêmes visages et aux mêmes formes.
Remarqué avec son précédent long métrage, White God (Grand Prix Un Certain Regard en 2014), Kornél Mundruczó n’y va pas avec le dos de la cuillère : son cinéma ultra-allégorique se veut à la fois concerné et énigmatique, un pied dans le réel et un autre dans un mysticisme empreint de références cinématographiques. Pour White God, le réalisateur hongrois convoquait le Hitchcock des Oiseaux à travers l’histoire d’une horde de chiens errants assoiffés de vengeance. La Lune de Jupiter lorgne plutôt du côté de Spielberg et Shyamalan en insufflant du merveilleux, à grands renforts d’effets spéciaux, dans le récit d’Aryan, un jeune migrant clandestin qui, après s’être fait tirer dessus, survit miraculeusement et se voit doté d’un don extraordinaire, celui de léviter et d’altérer la gravité autour de lui. Aidé d’un médecin corrompu et en quête de rédemption, Aryan se retrouve embarqué à travers Budapest et ses environs dans un périple rocambolesque, le docteur Stern essayant de miser sur la soif de ses contemporains pour les miracles, dans une société où précisément plus rien ne semble possible.
Pot-pourri
Finalement assez linéaire, le récit de La Lune de Jupiter est sans cesse chahuté par un désir de « faire cinéma », à grands renforts de plans-séquences qui, à force d’accumulation, perdent de leur pertinence. Mundruczó a parfois de belles idées, quelques intuitions esthétiques que l’on aimerait le voir développer avec un peu plus de finesse, à l’instar de ces séquences de lévitation pataudes qui, c’est un comble, finissent par alourdir le propos tant le cinéaste les étire sans savoir véritablement qu’en faire. Mundruczó souhaite réaliser trois films en un : un drame politique sur les migrants et les méthodes violentes et inhumaines avec lesquelles les pays les « accueillent », une fable fantastique doublée d’une réflexion sur l’expiation et la rédemption et un polar très premier degré avec flics ripoux, trahison et sacrifice. Sans cesse tiraillé entre ces trois genres, le réalisateur ne parvient jamais à les assembler pour former un ensemble cohérent qui donnerait du sens à son film. Un peu comme ses personnages, La Lune de Jupiter semble errer d’un univers à un autre, tour à tour soucieux d’évoquer des questions politiques (les camps de réfugiés, la corruption qui gangrène la société hongroise), d’atteindre une forme de poésie par le truchement d’une idée plutôt bonne mais jamais vraiment développée (le don d’Aryan, posé là comme une pochette-surprise que le réalisateur n’ose jamais complètement déballer) et marqué par la volonté de dessiner des personnages très cartoonesques, beaucoup trop la plupart du temps.
Pas grand-chose ne prend vraiment dans ce grand pot-pourri d’influences, d’intentions et de théories qui oscillent étrangement entre une forme d’humilité (le film a beau être maladroit, il ne se hasarde pas à tirer des conclusions définitives sur les sujets épineux qu’il aborde) et une grandiloquence toute mégalo pour une forme souvent pompeuse et parfois franchement ridicule. Peu aidé par une post-synchro catastrophique (rarement aura-t-on vu, dans le cinéma contemporain, un film dont le travail sur le son est aussi anarchique et bâclé, donnant littéralement l’impression dans certaines scènes que le doublage en post-production a été bricolé à la va-vite), La Lune de Jupiter apparaît comme une occasion ratée de placer sur l’échiquier du cinéma international un réalisateur dont on pressent un désir, une envie, mais qui se laisse déborder par ses intentions… et son ego.