Après le remarqué Boogie en 2008, Radu Muntean, l’un des talentueux cinéastes de la jeune génération roumaine, nous plonge à nouveau dans l’intime en filmant la déliquescence d’un couple. Si son film présente de nombreuses qualités, il manque de cohérence esthétique : la réalisation déséquilibrée de l’auteur effleure le sujet sans réussir à nous en faire ressentir pleinement les enjeux.
Depuis quelques années, les films des jeunes cinéastes roumains ne cessent de faire bonne figure dans les sélections et les palmarès des festivals internationaux. L’intérêt suscité par leurs productions provient surtout de leur attachement à représenter l’évolution chaotique de leur société. Il en résulte des thèmes forts qui plaisent aux festivaliers et jurés. Mais on ne peut pas seulement réduire leurs œuvres à cette analyse de l’histoire récente de leur pays : au-delà des purs aspects politiques et sociétaux, leur cinéma s’intéresse aussi au travail formel – souvent très réfléchi – et à l’intime. Radu Muntean s’évertue ainsi à décrire les rapports humains et les difficultés inhérentes à la vie sentimentale sans porter d’attention particulière au contexte roumain. Dans son nouveau film, il dépeint la rupture d’un couple : Paul trompe sa femme Adriana avec une jeune dentiste qu’il a rencontré six mois plus tôt. Vivant dans le mensonge depuis trop longtemps, il doit prendre une décision et révéler son adultère.
Pour traiter ce récit dramatique, Muntean déleste sa mise en scène de tout artifice afin de livrer une œuvre clinique, retranscrivant froidement la séparation d’un homme et d’une femme. Les teintes blanchâtres se répandent dans la photo du film pour signifier les derniers soubresauts avant la mort du couple. Si la qualité de Mardi, après Noël est indéniable, en raison de sa pudeur, de la qualité de son interprétation et du sens du cadre de son auteur, il souffre d’un réel déséquilibre : un mélange étrange et assez mal dosé entre une proximité et une distanciation exacerbée – digne du cinéma allemand des années 1960 et 1970 –, qui laisse le spectateur au bord du récit. Muntean hésite entre une analyse aride des sentiments, fondée sur une caméra qui enregistre le drame de façon extérieur, et une volonté de nous faire partager les ressentis des personnages grâce à des cadrages serrés sur leur corps. Il en résulte un dispositif bancal, le réalisateur nous tenant la main, puis nous rejetant soudainement et violemment à la périphérie du récit.
Cette impression est également due à la mise en scène low-fi du cinéaste, qui est parfois défaillante. Celui-ci explique qu’il a passé l’âge des œuvres où la caméra joue un rôle important. Si l’on peut évidemment comprendre ce raisonnement au vu des excès de certains auteurs maniéristes, la réalisation de Mardi après Noël est parfois trop effacée : dans de nombreuses séquences, elle se contente de capter sur la pellicule les ressentis des protagonistes sans véritable positionnement. Le Roumain oublie que l’on peut très bien utiliser des effets de mise en scène avec pudeur et simplicité. Il suffit de revoir les travellings « invisibles » de Mizoguchi – notamment dans Les Contes de la lune vague après la pluie – pour comprendre comment une caméra peut se mouvoir et capter les enjeux de l’histoire en se faisant discrète. De même pour Ozu, le moderne, dont le travail très poussé sur le cadrage et les champs-contrechamps disparaît sur l’écran. Policier, adjectif de Corneliu Porumboiu (pour citer l’un des contemporains de Muntean) est aussi l’un des exemples parfaits de simplicité apparente d’une mise en scène élaborée dans ses mouvements d’appareils, ses pauses et ses plans séquences.
Si Mardi après Noël n’est pas déplaisant, il délivre une impression d’inachevé. Le réalisateur ne semble pas avoir clairement trouvé l’esthétique finale de son drame. Difficile de le blâmer car, malgré ses imperfections, son œuvre tente des choses, expérimente une autre façon de traiter une histoire maintes fois vu au cinéma, sans tomber dans la paresse intellectuelle. On appréciera d’ailleurs sa volonté de donner un aspect réflexif à son drame – dans une volonté de distanciation – en faisant référence aux œuvres de Porumboiu, notamment grâce à la présence de Dragos Bucur, l’acteur principal de Policier, adjectif, dont le personnage utilise ici le même prénom (Cristi). Muntean reste assurément un auteur à suivre, qui doit trouver davantage d’équilibre formel pour magnifier son travail pertinent sur l’analyse des rapports humains.