Pour ses deux personnages principaux, Un enfant de toi s’ouvrait sur un plaisir simple, celui de revoir son ex lors d’une belle journée ensoleillée : réactiver les fantômes du passé, faire frémir le présent des sentiments. La scène trimballait son couple sur une terrasse de café au milieu d’autres couples, eux aussi très certainement ravis, en cette vivifiante après-midi d’été, de pouvoir échanger quelques complicités au soleil. Manière pour le film de montrer qu’autour de son tissu fictionnel, la vie suivait son cours, qu’il n’était ni dans ses aspirations ni dans ses intérêts que de venir la perturber. Mais pour Doillon manière d’avouer, surtout, qu’au fond seule son histoire compte : non sans élégance, tout le reste s’évanouissait dans le flou de l’image et le silence de la bande-son.
C’est un peu comme si chaque nouveau film imposait la nécessite de se soulager du poids de tout arrière fond sociologique (le réel, chez lui, révèle toujours les attributs d’un théâtre – un théâtre entièrement disponible, quoique complètement interchangeable), une manière désinvolte et parfois irritante de pénétrer le monde emmitouflé dans une bulle familière, où les affects se réduiraient à de petits papillons délestés qu’il s’agirait de rattraper au vol. Cette volatilité du sentiment s’accompagne encore et toujours d’une sorte d’obsession mathématique. Obsession mathématique spontanée, fouineuse, mais surtout strictement empirique, qui donne au récit des airs d’équation à résoudre sans l’appui d’aucun théorème – c’est-à-dire par la seule épreuve des rendez-vous successifs. Le credo est souvent le même : deux passions dans l’impératif de s’ajuster usent de toutes les configurations possibles avant de tomber, au gré des revirements et presque par mégarde, sur la bonne.
En fait de mobile narratif, on se contente comme souvent de pas grand chose. Disons, d’essayer d’être heureux à deux. Ici, Sara Forestier (dans son registre proverbial, l’emmerdeuse à fleur de peau) passe son temps à se tirer la bourre avec James Thierrée, ours mal léché dont la partition frôle dangereusement le sous-Luchini hirsute. Pour prétexte, un motif usé : la mort du père, synonyme de retour au pays, où git une promesse d’amant. On sait sur quel équilibre fragile autant qu’indispensable repose la réussite de ce cinéma de couple et d’intimité : des interprètes de feu, à la fois vaguement détachés et totalement investis, capables de se débattre et de coulisser sous les feux croisés de la plume et de l’œil du cinéaste. C’est une météo des affects toujours perturbée, valse verbale jamais loin d’être verbeuse, au cours de laquelle le spectateur se retrouve parfois coincé entre deux options : s’y reconnaître (et adhérer, pourquoi pas), ou au contraire rester complètement de marbre.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec ce psychodrame oiseux et campagnard, Doillon ne cherche pas vraiment la réconciliation, et paraît même redoubler d’effort pour donner le sentiment à ses détracteurs, mais aussi à son public, d’être clairement de trop. Premièrement parce que par l’effet d’un dispositif toujours plus asséché, toujours plus artisanal (tournage à la maison, 95% de séquence en tête à tête), le récit semble tout faire pour n’être dérangé par rien ni personne. Si cet isolement domestique ne l’empêche pas d’investir de nouveaux territoires (ici, le rapport charnel, le sexe cru), il entérine la promiscuité parfois insupportable de ce cinéma de séduction et de connivence, et confère à sa circulation d’énergie une dimension installée, artificielle, presque satisfaite, qui joue clairement contre le film.
D’autant que, pour être honnête, Mes séances de lutte ne manque pas d’irriter à l’endroit même où il mise tous ses jetons : difficile de ne pas se sentir gêné devant son duo d’acteurs, au jeu négligé et volontariste, autant que par le texte qui les aimante, risible et explicatif. Alors que les situations et les dialogues voudraient mobiliser la passion, attiser ses enjeux et ses revirements, les séquences tirent sur la corde, s’entretiennent et s’éternisent, cumulant les phases de séduction vide et phatique, ces minauderies où l’on meuble en faisant mine d’avoir de l’esprit. Où l’on s’amuse sans doute, mais on devrait avoir un peu honte d’être filmés.
Sauf que Doillon est là, toujours là, vigilant et alerte, goulu de sa partition habituelle, ces bavardages chorégraphiés à grand renfort de traits d’esprits surconscients, toujours pas rassasié (à bientôt 70 ans, c’est respectable) par le plaisir de faire une tragi-comédie avec trois fois rien. Cela pendait au nez de ce cinéma depuis longtemps : sombrer dans l’anonymat par le fait même de se laisser subjuguer par son style. Ici, son art de la saturation et du bégaiement, son goût des échanges moitié-prosaïques moitié-cocasses se déroulent sans résistance et s’emmêlent dans un tricot thérapeutique inextricable. L’accélérateur de particules fonctionne à plein régime, mais cette dépense d’énergie s’exécute pour elle-même. Autiste, elle se révèle par exemple inapte à accueillir les ondes émotionnelles de son hors-champ, de sorte qu’aucune force souterraine ne semble relier les morceaux de bravoure de cette psychanalyse des sentiments.
En prenant le parti de dénuder (au double sens du mot) son dispositif, Doillon affiche ses coutures et laisse ce faisant observer le squelette usé de sa petite cuisine. À sa pantomime habituelle (sans surprise : on se frotte, on se cogne, on se bouscule, on s’esquive), le réalisateur se dégage malgré tout un échappatoire. C’est une baise sauvage et boueuse dont l’érotisme sec et, disons-le, un peu raté raccorde malheureusement avec la faillite d’une stratégie de dévoilement et d’épure qui, en se mettant totalement à nu, voudrait résonner brute et nette, mais sonne en vérité creux.