« Je ne cherche pas à plaire, je veux être dans le vrai » rétorque Auguste Rodin (Vincent Lindon) à des fonctionnaires de l’État peu convaincus par le travail de l’artiste sur une sculpture de Balzac. Ce que Doillon fait dire à Rodin est bien entendu son propre discours, et c’est peu dire qu’effectivement le cinéaste s’applique méthodiquement à prendre le contre-pied des attendus du genre. En 1991, Maurice Pialat signait avec Van Gogh un film à la fois très personnel et résolument populaire (1,3 millions d’entrées), devenu depuis une référence du genre. En s’attaquant à son tour à la figure de l’artiste soumis aux affres de la création, Doillon semble peu soucieux de telles contingences. Rodin est un film sec, (presque) totalement dépouillé de tout folklore, entièrement tourné vers le mystère de la naissance de l’inspiration et du créateur dévoué à son œuvre, que même la présence de deux femmes (la passionnée Camille Claudel et la femme légitime, Rose) ne saura contrarier.
La démarche est radicale, pour un résultat moins passionnant qu’il ne devrait l’être. Avant tout parce que Doillon noie son Rodin sous des bavardages assommants au lieu de saisir la sensualité du geste. Et lorsque celui-ci est représenté à l’écran, c’est de façon résolument vaine, trop figurative : le modèle prend la pose, Rodin / Lindon fronce les sourcils et triture, dessine, racle, découpe, se donne beaucoup de mal pour, en fin de compte, dire quoi, montrer quoi ? Pas grand-chose. L’échec anticipé de la représentation du geste artistique pousse curieusement Doillon à répéter ad nauseam les mêmes images interchangeables, dans une succession de scènes étrangement dépassionnées. Le parti-pris de Doillon, jusque dans le choix de son acteur, est de montrer Rodin tel les blocs de glaise qu’il triture de façon obsessionnelle : d’abord brut, inexpressif, presque repoussant, puis se transformant progressivement, une fois touché par la grâce de l’artiste.
L’artiste et son modèle
La métaphore n’est pas très légère et Doillon en abuse, réduisant la relation Claudel / Rodin à un jeu de pouvoir et de manipulation qui conduit la jeune femme à vouloir faire de son amant son œuvre idéale, qu’elle pourrait modeler et accorder à ses désirs, tout en s’imposant comme son unique disciple, à la fois muse et démiurge. Là encore, c’est soit trop, soit trop peu. Les babillages incessants de Camille Claudel, dépeinte moins comme une artiste débordée par la passion amoureuse que comme une petite capricieuse bourgeoise et jalouse, ne servent pas le film. Paradoxalement, cette relation complexe et centrale dans la vie et l’œuvre de Rodin est traitée de façon trop elliptique, presque superficielle. Doillon n’est pas aidé, il est vrai, par Izïa Higelin, catastrophique erreur de casting, qui ne fait que minauder, toujours à côté de son personnage, jamais habitée – on ne croit pas une seconde à sa Camille Claudel, constat d’autant plus cruel que face à elle, Lindon envahit l’écran en donnant l’impression de ne faire presque rien. Dans le rôle de Rose, l’autre femme de Rodin, Séverine Caneele (vue dans L’Humanité de Bruno Dumont) est elle aussi formidable, entière, présente à son rôle et au film, et l’on se surprend presque à se demander ce que l’intensité de l’actrice aurait pu donner si elle avait joué Claudel.
Doillon réussit quelques scènes – notamment sur la fin, quand Rodin trouve les réponses qui le mèneront à mettre la dernière touche à son Balzac, qu’il hissera ensuite dans son jardin de Meudon pour mieux l’observer aux différentes heures du jour et de la nuit (on se serait passé, en revanche, de l’épilogue inutile qui montre où la statue est exposée aujourd’hui). Mais son Rodin échoue à trouver les réponses aux questions que semble se poser le cinéaste : peut-on représenter le geste de création ? Une fiction peut-elle montrer un artiste au travail sans donner l’impression de filmer la peinture qui sèche ? Même avec l’un des meilleurs acteurs contemporains, la réponse donnée par Doillon semble bien vaine.