Si l’on dit de certains films qu’ils sont trop « carrés », Oxygène serait quant à lui un film un peu trop « rond », jusque dans son titre, « O2 », qui résume autant les enjeux de l’intrigue (une femme se réveille amnésique dans un caisson cryogénique dont les réserves d’oxygène s’amenuisent) qu’il révèle le motif structurant de la mise en scène. On l’aura compris à la lecture du synopsis, il s’agit d’un film « à dispositif » – un récit en temps réel se déroulant intégralement dans un espace clos –, qui implique, sur le papier, de circonscrire un terrain de jeu réduit pour en exploiter pleinement les potentialités. Il serait tentant, mais trop hâtif, de juger que le parti pris minimal de l’écriture induit par ricochet une forme de modestie. Bien au contraire, Oxygène témoigne d’une certaine ambition, à la fois métaphysique (on y reviendra) et réflexive, par sa manière d’envisager son cadre narratif comme une figuration de l’expérience cinématographique, mise assez limpidement en abyme, qui ouvre sur un portrait, un peu plus fin qu’on pourrait de prime abord le croire, d’un spectateur moderne, mi-homme mi-machine. C’est que cette expérience renvoie autant à celle, traditionnelle, de la salle, qu’à celle, plus hybride, de la découverte d’un film sur une plateforme ou, plus loin, sur un écran d’ordinateur. Si l’héroïne, comme le spectateur de cinéma, se voit confinée, elle se trouve aussi, comme le spectateur de Netflix, en interaction avec un écran (doté d’une intelligence artificielle à laquelle Mathieu Amalric prête sa voix), mais aussi avec un dispositif qui agit sur elle, et sur lequel elle peut agir en retour.
Le processus prend dans un premier temps la forme d’une incubation : de la même manière que l’intelligence artificielle injecte, ou tente d’injecter divers liquides dans le corps intubé de Mélanie Laurent (nutriments, sédatifs, etc.), le montage impulse des décharges visuelles (des flashs mémoriels) qui se mêlent à des données sonores (des appels à distance) influant sur le cours de l’action. Le personnage féminin, amnésique et aux sens entravés, se confronte alors à une série d’informations sonores et visuelles à partir desquelles elle va recomposer le récit, et plus encore son récit. Belle idée, à moitié tenue, mais belle idée tout de même, que ce personnage de spectatrice 2.0 qui influe, tel un internaute, sur le spectacle qui se présente à elle : ici elle fait rejouer une conversation passée, là elle augmente le son pour percer le secret d’un murmure, ailleurs elle détourne les modalités techniques du caisson cryogénisé pour provoquer des stimuli électriques, déclenchant par-là lesdits flashbacks qui cisaillent le montage. Oxygène n’est dès lors pas, comme on pouvait s’y attendre, un avatar de Buried, mais bien plutôt un film-interface.
Le grand cercle
Le film souffre néanmoins de deux écueils qui limitent son champ d’action. D’abord, Aja tient à moitié son pari : non seulement les flashs impliquent quelque part de rompre avec l’unité de lieu qu’il s’est fixé (ils offrent, paradoxalement, une respiration à l’intérieur d’un décor où l’air se fait rare), mais le cinéaste finit de surcroît par lâcher progressivement le point de vue de son héroïne pour une ouverture à l’extérieur (on ne racontera pas comment), d’abord justifiée par le récit, puis gratuite (cf. une séquence, dans le dernier mouvement du film, où la caméra abandonne le caisson pour filmer le dehors, sans que la chose ne soit cette fois justifiée par rapport aux actions de la captive – bref, pour faire un plan de coupe). Ensuite, parce que les restrictions spatiales poussent la mise en scène à adopter un principe moteur répété jusqu’à l’usure : la circularité, comme vecteur d’une unicité totale. Le caisson représente, là encore de manière limpide, autant un ventre maternel qu’un possible tombeau, et de fait le film s’achèvera sur une scène qui rejoue à l’envers l’ouverture, pour bien souligner la rotondité parfaite de l’ordre des choses et leur réversibilité.
En témoigne la meilleure séquence du film, où la caméra s’éloigne lentement de l’œil-fenêtre du caisson pour mieux revenir, par l’entremise d’un raccord numérique maquillant la coupe, dans l’œil de Mélanie Laurent, œil où se reflète le visage-œil de l’intelligence artificielle avec laquelle elle est constamment ou presque en contact. La scène aura en somme dessiné un cercle parfait, pour souligner que même le pas de côté, la rupture de ton (l’abandon temporaire du caisson), s’inscrit dans une rotondité présidant à l’ensemble des éléments. Tout le film repose sur ce principe, à un niveau symbolique (le visage de Laurent est cerné d’une auréole lumineuse), plastique (l’intelligence artificielle est représentée par un cercle bleu luminescent), dynamique (une conversation téléphonique importante, filmée en plan-séquence, où la caméra pivote sur elle-même), jusqu’à des endroits plus inattendus. Un exemple astucieux : Mélanie Laurent est « entourée » de deux acteurs masculins parfaitement complémentaires par leur dysmétrie – une voix sans corps (Mathieu Amalric), et un corps sans voix (Malik Zidi, qui n’a le droit en tout et pour tout qu’à une petite réplique dans l’ensemble des séquences où il apparaît). Preuve s’il en est qu’Oxygène n’est pas un film sans idées, mais on peut regretter qu’il ploie sous le systématisme de ce principe, qui supporte une approche parfois simpliste de la métaphysique (la mort est dans la vie et la vie dans la mort, le macro dans le micro et inversement, etc.), au risque de finir, c’était couru, par tourner en rond.