Habitué aux remakes depuis son départ pour les États-Unis, Alexandre Aja s’affranchit avec Horns des relectures qui ont fait son succès pour adapter le roman culte de Joe Hill, rejeton du roi de l’horreur Stephen King. Cette histoire à dormir debout qui mélange allégrement les références bibliques tente de fusionner le cinéma gore cher au réalisateur à un univers lynchien. Un grand écart pour le moins risqué.
Une humanité au vitriol
Soupçonné du meurtre de sa petite amie Merrin (Juno Temple), Ig (Daniel Radcliffe) s’alcoolise tous les soirs pour oublier. Un beau matin, encore plombé par une sérieuse gueule de bois, il découvre ébahi deux petites cornes pousser sur son crâne. Mais cette métamorphose physique s’accompagne d’un autre pouvoir : celui de faire avouer à son interlocuteur tous ses secrets, même les plus honteux. Cette étrange capacité pourrait bien se révéler son ultime chance de démasquer le véritable assassin.
En choisissant de situer son drame fantastique au cœur d’une petite ville de bûcherons et en s’adjoignant les services de Frederick Elmes à la photographie (Sailor et Lula, Blue Velvet), Aja fait revivre les fantômes du lynchien Twin Peaks. Encore une fois, une jeune fille a été tuée (Laura Palmer vs Merrin Williams), encore une fois l’identité du meurtrier demeure mystérieuse. Mais pour le cinéaste français, l’étrangeté des lieux et de ses habitants s’incarnent dans l’apparition inexpliquée de cornes sur la tête du protagoniste. Dès lors, il faut accepter ce postulat délirant car Horns ne s’embarrasse aucunement d’explications pour justifier cet événement insolite. Toutefois, pour peu qu’on adhère à cette manifestation extraordinaire, le film propose une enquête endiablée, un portrait touchant de l’enfance (lors de flashbacks rappelant Stand by Me) et une satire mordante sur l’humanité. Car l’une des forces du film réside dans le langage de vérité qu’Ig impose involontairement. Tous les personnages sont soumis à cette mise à nue, dans un crescendo où l’absurde, le risible et le tragique se disputent le terrain. De la boulimie de la fille facile du coin au désir obsessionnel de célébrité d’une serveuse de diner (l’excellente Heather Graham), en passant par le désamour de ses parents, Ig va peu à peu découvrir le pire, l’indicible, la part de ténèbres de ceux qui l’entourent. Le dézingage minutieux de la respectabilité des uns et des autres s’avère un spectacle jubilatoire, à l’image de cette séquence dantesque rythmée par un titre prophétique de Depeche Mode (« Personal Jesus ») où Ig enjoint la horde de journalistes à ses trousses à une bagarre générale pour décrocher son interview. Progressivement conscient de son pouvoir, le héros délaisse toute morale au profit d’une vendetta dont personne ne sortira indemne.
Une forêt de symboles
Friand de films horrifiques où le symbolisme fait office de clé interprétative indispensable, Aja injecte dans Horns pléthore de signes religieux. Le nid d’amour des tourtereaux, sorte d’éden préservé, les serpents qui deviennent son bras armé, l’apparition d’une pomme, la fourche et évidemment ses cornes (signe démoniaque s’il en est), tous les éléments liés à Ig s’inscrivent dans la tradition chrétienne de la représentation du malin et des tentations qu’il suscite.
Mais ces références se révèlent tout à la fois la réussite formelle du long-métrage tout autant qu’une de ses limites. Le cycle de vengeance qu’Ig déroule en parallèle à son enquête fait écho à la loi du talion, punissant ceux qu’il considère coupable par où ils ont péché. Cette justice personnelle, outre son caractère arbitraire, véhicule surtout une vision atrocement manichéenne, jusqu’à la caricature. Alors que les deux tiers d’Horns naviguent intelligemment entre des flashbacks émouvants où l’on découvre chaque personnage enfant ou la romance d’Ig et Merrin (superbement photographiée) et des scènes caustiques politiquement incorrectes ou parfaitement horrifiques, le dernier tiers se prend les pieds dans le tapis symboliste, jusqu’à frôler le ridicule lors du face à face ultime entre Ig et le tueur. Perdant pied scénaristiquement (l’absence de Grégory Levasseur, side-kick historique d’Aja explique peut-être cet enlisement), le réalisateur mouline dans le vide et les effusions gore des dernières minutes semblent là pour détourner l’attention du public, comme le chiffon rouge des toreros. Dommage qu’on ne puisse oublier cette demi-heure ratée tant Horns est renversant plastiquement, grinçant comme les portes de l’enfer et terriblement jouissif.