À la fin de Mon Crime, François Ozon filme un théâtre, lieu matriciel de son cinéma depuis son adaptation en 2000 d’une pièce de Fassbinder : Gouttes d’eau sur pierres brûlantes. Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz), jeune comédienne de l’entre-deux-guerres, y interprète une scène où elle tue son producteur parce qu’il a eu les mains trop baladeuses. Triomphe dans l’assistance, où l’on salue toutefois moins en elle l’actrice que la criminelle – car Madeleine doit sa célébrité au véritable meurtre de Montferrand, homme de spectacle libidineux dont le goût pour les jeunes filles et l’ignorance du consentement en font un décalque explicite d’Harvey Weinstein. Pour Ozon, sur scène, le principe de réalité est suspendu : que Madeleine passe aux yeux du public pour une meurtrière n’a aucune importance. Car ses comédies ne racontent rien de moins que la transfiguration de la réalité, aussi sordide soit-elle, par un style dont l’artificialité lorgne vers le camp. D’où le choix d’adapter – encore une fois, après Potiche – une pièce de boulevard (celle-ci est signée Berr et Verneuil), grand succès de la saison 1934 au Théâtre des Variétés : la légèreté revendiquée du film passe autant par l’avalanche des bons mots que par le frou-frou des robes et le toc des décors – bref, tout un décorum du luxe qui teinte cette modeste récréation des couleurs de la féerie.
Jeu de massacre
Pendant le générique de fin, des manchettes de journaux apparaissent sous le nom de chaque comédien, révélant le triste sort qui est réservé à leur personnage et les basses manœuvres auxquelles ils se sont adonnés, comme une ultime pirouette ironique où transparaît un ton grinçant. Sous le couvert de la comédie se niche une évidente délectation à renvoyer dos à dos tous les personnages de l’affaire Montferrand, qui s’en arrangent chacun à leur manière. Le scénario se concentre alors sur le triomphe des médiocres : l’entrepreneur Palmarède (Dany Boon) gagne de l’argent sur le dos du macchabée, Pauline (Rebecca Marder), la colocataire de Madeleine, devient une star du barreau et Odette Chaumette (Isabelle Huppert), actrice sur le retour, cherche par tous les moyens à retrouver la lumière des projecteurs. Apologue des puissances du faux, Ozon semble se réjouir des mensonges incessants de tous les personnages pour tourner le drame à leur avantage. Le film n’évite toutefois pas la maladresse lorsqu’il évoque la libération de la parole de son héroïne, victime d’une tentative de viol, en écho au mouvement #MeToo. Passées les joutes oratoires opposant Pauline aux séides du patriarcat, difficile de ne pas voir l’indélicatesse du scénario lorsque Madeleine affirme avoir joué son rôle de pasionaria féministe pour s’attirer les faveurs du public, tandis que le film laisse planer le doute jusqu’à ses dernières minutes sur la réalité de son agression. Comme souvent chez Ozon, l’aigreur se pare du masque d’une dérision bon teint.
Ce cynisme facile, façon « tous pourris », ne se donne jamais les moyens de déboucher sur un hédonisme véritablement amoral. Dans ce film où tout le monde a ses torts et personne n’a raison, les protagonistes ressemblent à des pantins débitant leurs mots d’esprits, plutôt qu’à de véritables personnages. « Je me demande si je n’ai pas soudain perdu la notion du bien et du mal » lance M. Bonnard (André Dussollier), après une énième magouille de Madeleine. L’air hébété et la diction trop rapide de l’acteur permettent alors de synthétiser les défauts du film, qui confond la prestesse avec le rythme et le cabotinage avec l’esprit. Festival de grands noms (Fabrice Luchini, Daniel Prévost) et de seconds rôles revenus de tout (Laspalès et l’inénarrable Franck de La Personne), Mon Crime rappelle finalement moins le modèle de la screwball comedy auquel il aspire qu’un cinéma français de qualité, pétri de lourdeur théâtrale. L’omniprésence des surfaces ripolinées, le goût des grands sujets et la virtuosité ostentatoire, mais vaine, finissent de confirmer que le cinéma d’Ozon est aujourd’hui le principal représentant de ce qu’on pourrait appeler un académisme d’auteur.