François Ozon n’est pas un cinéaste politique, tout le monde en convient sans mal. La littéralité de sa mise en scène, son goût assumé pour le factice et l’artifice, sa tendance au recroquevillement spatial qui se traduit jusque dans les titres (Le Refuge, Dans la maison, etc.) en ont fait un cinéaste populaire volontairement coupé d’une réalité sociétale, visant à jouer avec ses personnages comme on manipule des poupées. Si certains de ses films ont pu susciter le malentendu (comme par exemple Potiche dans lequel on a pu voir un anti-sarkozysme de circonstances qui ne dépassait pourtant jamais la farce), d’autres ont en revanche bénéficié d’une absence de parti-pris moral : ce fut par exemple le cas de Jeune et jolie, sorti en 2013, qui mettait en scène une adolescente de bonne famille se livrant à la prostitution sans justification économique ou psychologique. Cette prudence, qui a su préserver le film des discours sociologiques moralisateurs, fut aussi perçue comme la marque d’un manque d’engagement, la neutralité revendiquée du réalisateur laissant le spectateur libre de toute interprétation. C’est bien pratique, pourrait-on dire.
C’est un peu la même recette qui est à l’œuvre dans Une nouvelle amie, portrait en creux de David, trentenaire hétérosexuel, qui, après la mort prématurée de son épouse, décide d’assumer son goût pour le travestissement. D’abord circonscrite à un intérieur, cette pratique va progressivement investir l’espace public, l’homme en question bénéficiant du soutien ambigu de Claire, la meilleure amie de sa femme. Encore une fois, Ozon s’en tire à bon compte en s’affranchissant de toute tentative de justification psychologique : non, David n’est pas un homosexuel refoulé ; non, sa propre mère n’a jamais souhaité avoir une fille, etc. C’est d’ailleurs dans cette acceptation de fait que le film trouve son plus beau cheminement, trouvant son acmé lors d’une scène attendue de cabaret où le souci de performance s’efface devant un désir de normalisation et d’assimilation aux autres, discours qui n’est pas totalement superflu dans la France de 2014, entre manifs pour tous et partis-pris alarmistes sur la dévirilisation de l’homme.
Le deuil et puis… plus rien
Pour autant, François Ozon ne fait pas d’Une nouvelle amie une réflexion sur le genre ou les préférences sexuelles comme Guillaume Gallienne s’y était risqué, non sans maladresses et quelques lourdeurs, dans Les garçons et Guillaume, à table !. Certes, la question de la transformation est au centre de nombreuses scènes : le geste (celui qui maquille, habille, dissimule) est constamment scruté pour mieux figurer le passage d’un état à l’autre. Ce fétichisme, déjà à l’œuvre dans 8 femmes, laisse même entrevoir une piste intéressante, celle d’un rapport de manipulation qui se dessine entre les deux personnages principaux. Seulement, le réalisateur, rivé au traitement beaucoup trop superficiel de son sujet, ne va pas plus loin dans l’exploration de cette fascination perverse que Claire entretient pour David devenu Virginia. On ne peut d’ailleurs qu’être circonspect face à la résolution des enjeux : s’il n’est pas question de faire machine arrière dans le cheminement personnel de David, la redistribution des rôles s’opère ici d’un coup de baguette magique. Encore une fois, l’interprétation de ce juste retour à l’équilibre est à la charge du spectateur. C’est une nouvelle fois bien pratique, pourrait-on encore dire.
Mais on a surtout l’impression qu’Une nouvelle amie passe à côté de la question du deuil qui est pourtant l’amorce de tous les événements à venir. Si la mort de Laura ouvre une brèche dans les certitudes de Claire, prête à tout pour ramener à elle le souvenir de son amie disparue, elle est trop rapidement réduite à n’être qu’un argument scénaristique pour enfermer les deux personnages principaux dans un tête-à-tête claustrophobe. L’arrière-plan n’intéresse pas davantage François Ozon qui rate totalement ses seconds rôles (pauvre Aurore Clément) et parsème ses scènes d’indices sur l’appartenance sociale des personnages (intérieurs bourgeois et aseptisés, prégnance des signes religieux), comme pour donner une vague idée de leur manque d’ouverture d’esprit. Avec une partition aussi pauvre, on se demande bien comment, par quel miracle, les deux acteurs principaux s’en sortent aussi bien. Face à Anaïs Demoustier, parfaite en intriguée gourmande, Romain Duris stupéfait par sa grâce jamais forcée. Le principal mérite du film leur revient entièrement.