On connaît le goût de François Ozon pour les espaces clos et la décoration d’intérieur. Il apparaît bien vite, une fois le rideau levé sur l’appartement de Peter von Kant, que la pièce de Fassbinder dont ce film est la transposition au masculin participe d’abord de la reconstitution fétichiste d’un imaginaire, avec son mobilier kitsch et ses tapis de fourrure. Dans la chambre qu’il ne quittera guère, Peter (Denis Ménochet) glisse une Marlboro entre ses lèvres, se passe un vinyle (une reprise d’une chanson de Querelle) et esquisse un corps-à-corps avec Karl, son majordome : pour faire place à la sensualité (au goût, à l’ouïe, au toucher), il faut souvent à Ozon un refuge hors du monde et hors du temps. Cela tombe bien, c’est quelque part le thème de la pièce : le désir contrarié de s’accaparer l’être aimé, de le posséder, puis l’amertume de n’en garder finalement qu’une image sur papier glacé. Le refrain de la chanson est à prendre littéralement, en ce qu’il s’applique à Ozon adaptant Fassbinder : « Every man kills the things he loves. »
Peter von Kant dresse en effet le portrait d’un cinéaste à la gloire un peu fanée, qui fait la rencontre d’un jeune homme, Amir (Khalil Gharbia), dont il entend faire sa chose. Il voudrait se nourrir de sa substance comme il a vampirisé ses précédentes égéries, pour habiller de leurs photographies les murs de son appartement. Il appelle ça l’amour. Mais le garçon ne se laisse pas capturer et renvoie Narcisse à son (im)pitoyable reflet. Le film suscite à vrai dire une certaine perplexité en essayant de tenir le bon bout entre hommage cinéphile, outrance de carnaval et sentimentalité à fleur de peau. Son échec est à mettre au compte du jeu excessif des comédiens et de la lourdeur d’une écriture qui instille un décalage mal dosé (on pense par exemple à une séquence de séduction autour d’un plat de fruits de mer, où Peter s’exclame avec empressement en désignant Amir : « Karl, décortique sa crevette ! »). Du détournement du pathos dans lequel se complaît le personnage au pathétique du détournement lui-même, il n’y a qu’un pas. Et c’est bien parce qu’il répond au dérisoire par la seule dérision qu’Ozon finit par désamorcer toute émotion.