S’il en porte le titre, le nouveau film de Sylvain George n’a rien à voir avec le célèbre livre d’Ernest Hemingway, érigé en symbole d’un art de vivre à la parisienne à la suite des derniers attentats qui ont traumatisé la ville. Armé de sa petite caméra, le documentariste a choisi de s’éloigner des clichés touristiques qui collent à la ville pour mieux révéler le triste envers du décor. Pour cela, il arpente inlassablement les rues à la rencontre d’hommes et de femmes en lutte dont l’objectif est de faire entendre des voix et des discours en rupture avec l’ordre dominant. Instantané de l’année 2016, le film superpose les événements les plus marquants : le traumatisme post-attentats du 13 novembre, la répression policière pendant les manifestations, la création de Nuit Debout, la condition des sans-abris, le sort des migrants, etc. Mais très rapidement, ce vaste et ambitieux programme prend des allures de compilation fourre-tout dont on ne saisit ni le sens, encore moins l’objectif final. Pire, on se demande si tous ces sujets ne deviennent pas de simples prétextes pour un réalisateur en quête d’une posture, cherchant davantage à vendre une proposition esthétique qu’à véritablement approcher les sujets auxquels il prétend s’intéresser. Cette absence d’altérité avec ses intervenants qui, à de très rares exceptions, ne s’individualisent jamais, se détecte dès les premières minutes : face à un immigré africain passé par le Maroc et les boat-people pour entrer en Europe, la force du témoignage ne semble pouvoir se suffire à elle-même. Dans un noir et blanc esthétisant dont on ne comprend pas bien l’utilité (et qui sera le parti-pris du réalisateur pendant tout le film), la mise en scène syncope la parole du sans-abri à coups de jump-cut qui font de lui le pantin d’un dispositif filmique davantage préoccupé par ses propres effets que par la rencontre.
Megamix
On sent bien que le réalisateur souhaitait donner une image chaotique et organique de la ville, probablement avec pour seule finalité d’indisposer son spectateur. Très travaillée, la bande-son saturée est là pour l’attester, superposant le bruit urbain à toutes sortes de détonations et de déflagrations : la ville se donne à entendre comme un enfer terrestre où la parole et les idées sont devenues inaudibles. C’est probablement pour cette raison que nous ne saurons finalement rien de plus des raisons qui ont poussé une partie de la population à descendre dans la rue pour défier l’état d’urgence ou bien à se rassembler place de la République pour tenter d’imaginer un nouvel ordre politique. Mis à part l’extrait d’une tribune qui compare opportunément la précarité de tous les travailleurs à celle des intermittents du spectacle, Sylvain George n’a visiblement pas jugé nécessaire d’aller à la rencontre des contestataires pour comprendre les dynamiques individuelles et collectives : non sans avoir pris des risques réels, il préfère aller directement au niveau de la confrontation, là où les violences s’exhibent. Au plus près des interpelés brutalisés par les CRS ou même du côté des casseurs qui caillassent les voitures de police, le réalisateur s’intéresse au corps qui refuse de se soumettre, à la main qui dégrade, avec le risque que cela comporte de créer un aplat qui ne fait plus aucune distinction entre les différents acteurs. Ainsi, par un malheureux jeu de montage, Paris est une fête fait se succéder Nuit Debout, les manifestants et les casseurs, laissant le spectateur établir lui-même (et avec le peu d’éléments de réflexion qu’on lui communique) sa propre échelle de valeur. Le film semble peu s’inquiéter des amalgames qu’il induit (involontairement ?) car seul compte l’impact immédiat de la brutalité de la scène que le réalisateur est parvenu à enregistrer au péril de sa sécurité. Si Sylvain George a fait preuve d’un audacieux engagement physique et que le film n’est pas sans poser de passionnantes questions sur la responsabilité éthique de celui qui écrit, tourne, enregistre, monte et mixe, on ne peut en revanche pas excuser un projet qui donne maladroitement l’impression de se repaître du chaos ambiant et de la souffrance d’autrui pour se légitimer.