Avec sa success story musicale sur fond de rap, Patti Cake$ apparaît d’abord comme un ersatz bling-bling de 8 Mile (dont l’atout majeur était Eminem). Patricia, le personnage principal, est portée par la même ambition : réussir à percer dans le milieu afin d’échapper à la précarité. Cette quête d’ascension artistique, dans l’optique d’une réussite financière, pousse le film à interroger non pas la volonté même du personnage (ce que faisait 8 Mile : Jimmy « Rabbit » aura-t-il la force nécessaire pour croire au succès ?), mais son talent et sa veine véritablement artistique : aura-t-elle la capacité de se débarrasser de ses inspirations – le culte qu’elle voue à son modèle, le rappeur O.Z – afin de s’affranchir d’une logique industrielle et mainstream ? La question a le mérite d’être posée, puisque Patty semblait plutôt motivée par un sentiment de revanche, contre ceux qui ne croyaient pas en elle ou dont elle fut objet de moqueries.
Image au premier degré
Si Patricia est pleine d’ambition, elle ne se se projette pas dans un horizon d’attente, mais existe pleinement au jour le jour, rêvant au quotidien, fonçant tête baissée de manière irréfléchie. Elle ne souhaite qu’une chose, s’élever, se détendre (durant l’une de ses hallucinations, elle se met à léviter). Obnubilée par un désir de réussite assez machiste – devenir chef de horde dans cet univers masculin et testostéroné qu’est le monde du rap – elle vit de ses rimes et de ses petits jobs, passant de l’un à l’autre aussi vite que son débit fracassant, accompagnée par la même vitesse d’exécution des séquences, dont les plans excèdent rarement quelques secondes. Geremy Jasper semble acculé au champ de vision réduit de son personnage, pris dans sa course effrénée de fuite en avant.
Aimantée jusqu’à l’absurde par Patricia (voir les zooms ahurissants sur ses doigts d’honneurs), la réalisation s’en tient donc à l’objet visible, au premier plan, sans regarder au-delà, avançant son récit comme un âne avec sa carotte. Les personnages eux-mêmes, aveuglés par leur tentative d’ascension, enchaînent fausses pistes et désillusions, jusqu’à la rencontre tant attendue avec O.Z, brutale dans sa manière de ramener l’héroïne à sa condition : celle d’une fille un peu désabusée ayant placé ses espoirs dans une industrie de rêve, peut être pour les mauvaises raisons.
Geremy Jasper ne semble pourtant aucunement méprisant envers son héroïne, puisque qu’il partage les mêmes rêves et les mêmes craintes. Une peur si grande qu’il en vient à camoufler un scénario finalement classique par une panoplie de jump cuts et d’effets tape-à-l’œil, sans pourtant chercher à critiquer l’industrie du rap, pour laquelle il semble vouer une véritable fascination. La forme tapageuse est au contraire pleinement assumée, jamais au second degré, c’est-à-dire consciente de son artifice, et prétexte à interroger l’association du moribond au clinquant (No Pain No Gain, Spring Breakers) ou à l’exploiter servilement comme objet de production à la chaîne (les sagas Resident Evil ou Fast and Furious). Le cinéaste semble au contraire profondément bercé par cette esthétique racoleuse, au point d’en servir une mélasse pure. « Peu importe le contenu, dans ce cas, pourvu que l’on ait l’ivresse » pourrait bien être son credo, tant il semble s’enthousiasmer du moindre objet qu’il filme.