Condensé de technologies
Clap de fin pour la saga Résident Evil, girouette cinématographique constamment influencée par son époque : du « techno-thriller » avec son labo hi-tech et sa colorimétrie acier pour le premier opus au tout début des années 2000 à une fin du monde apocalyptique en 2016, brassant jusqu’à la boulimie une multitude de références visuelles et scénaristiques à succès de ces dernières années (pêle-mêle Je suis une légende, La Route, The Last of Us, Mad Max). Récit d’une lutte des classes aseptisée – Alice et ses amis contre Umbrella Corp., sorte de dégénération d’un capitalisme souverainiste quasi religieux, qui a répandu un virus transformant les gens en zombies – le film n’en reste pas moins opportuniste de ses thèmes. Évacuant toute la dimension politique d’une aliénation des individus-consommateurs qui jadis guida George Romero, inspiration du jeu vidéo et maître du genre, la mise en scène d’Anderson donne à Alice tous les moyens techniques (gestuelle, matériel, savoir-faire) pour mener à bien son combat sans jamais subir son environnement. Rien ne vient en effet entraver son mouvement – pas même la pesanteur – dans sa quête, trajectoire irrésistible, au détriment de la lisibilité narrative.
Même les quelques bonnes idées du film – par exemple la horde de morts-vivants qui suit les chars d’Umbrella, devenant à son insu à la fois armée et disciple aveugle de la corporation et du Dr Isaacs son patron, sorte de grand manitou prophétique, guidé par une mission littéralement biblique – sont noyées par le rythme infernal du montage, échouant lamentablement à imiter l’astucieuse dégénérescence moderne mise en scène par George Miller dans son Mad Max : Fury Road.
Échec dans les codes du genre – échec dans sa propre grammaire
Le capotage le plus cinglant de la saga cinématographique fut assurément sa défaillance à générer de la peur, essence du jeu, et le traitement de ses créatures, bouche-trous scénaristiques plus qu’autre chose. C’est pourtant le premier Resident Evil, en 2002, qui relança la mode du mort-vivant et de l’épidémie, qui perdure encore aujourd’hui, et quinze ans après, la boucle de la saga est désormais bouclée – non pas sur les codes des genres horrifiques qui l’ont inspirée, mais sur elle-même.
Dans ce chaos visuel orchestré par un montage épileptique, comme s’il y avait obligation de ne jamais commencer un plan sans mouvements (de caméra ou d’acteurs), de peur que le moindre temps mort ne vienne rappeler toute la vacuité de l’œuvre, le film réussit l’exploit de trébucher à chaque séquence : commencées trop vite et achevées brutalement, les situations ne marquent pas, elles s’évaporent comme une rumeur anecdotique, ne cherchant jamais à développer l’intrigue mais à expédier tout dialogue pour se consacrer au plus vite à l’action. Cette obsession du mouvement frise même le grotesque, notamment lors de dialogues où à chaque contrechamp (et il faut le voir pour le croire) le personnage filmé a modifié sa position ou a renouvelé sa gestuelle corporelle pour feindre la surprise ; ou encore, la prouesse du cinéaste de changer de cadrage et de composition à chaque plan. De son propre chef, le film se détruit dans son rythme précipité, opérant une course contre la montre narrative (Alice doit sauver le monde en quarante-huit heures) et contre lui-même : là où les No Pain, No Gain, Spring Breakers et autres Loup de Wall Street assumaient la célébration de l’hyperactivité vide, poétisant à leur manière l’amère vacuité de leur temps, Resident Evil : Chapitre final en est au contraire l’incarnation premier degré et inconsciente, témoin d’une époque qui pense s’adresser plus facilement à son jeune public par le clinquant, le cut façon clip, le jump scare et le tape-à-l’œil.
Dans cette boucle rythmique, le film s’en remet à lui-même, vertigineux dans sa propension à s’auto-flatter, s’enfermer dans une surenchère de rythme et de mouvements, aveuglé par son propre succès commercial. C’est d’ailleurs le propre logiciel d’Umbrella, Alicia, qui décide de détruire l’entreprise, mettant ainsi fin à la saga d’adaptation vidéoludique la plus rentable du cinéma, qui durant dix ans aura été l’ambassadrice anachronique de l’incarnation du blockbuster racoleur par excellence, régi jusqu’à la caricature par la logique de l’argent et des flatteries de son auditoire. Comme l’antivirus qui se propage dans les airs à la fin du film, souhaitons bon vent à la saga.