Dans le cinéma de Rebecca Zlotowski, tout est question d’ondes et de rayonnements. Le danger de « prendre des doses » dans l’usine nucléaire de Grand Central, son précédent film, était ainsi la métaphore de la passion interdite. Planétarium explore lui aussi un autre milieu traversé par les ondes, cette fois-ci psychiques : celui de deux sœurs médiums américaines débarquant dans le Paris des années 1930, Laura et Kate Barlow (Natalie Portman et Lily-Rose Depp), capables de parler avec les morts. Tandis que la jeune Kate poursuit son travail de médium auprès du producteur de cinéma André Korben (Emmanuel Salinger), Laura accepte de jouer son propre rôle de spirite. L’art du médium sera donc constamment mis en parallèle avec celui de l’actrice. Qu’est-ce qu’un film, si ce n’est effectivement l’art de faire revenir les morts ? Rebecca Zlotowski, décidément, aime faire coexister son sujet avec des métaphores qui en commentent largement le sens.
Histoires de fantômes
Planétarium, donc, est une histoire d’amour pour les fantômes à plusieurs niveaux. C’est d’abord le cas au sens le plus concret du terme grâce au personnage de Korben, qui retrouve son amant mort au cours de ses « séances » avec la petite Kate. Un montage alterne alors la perception extérieure de la scène, où le corps d’Emmanuel Salinger se penche en arrière sous l’effet d’une mystérieuse crispation, et sa perception surnaturelle où un inconnu apparaît derrière le producteur pour l’étrangler amoureusement. Dans cette séquence brève et fascinante, plutôt réussie dans son registre fantastique, seul le cinéma dévoile l’invisible à l’œil humain. « Il faut quelquefois éteindre la lumière pour voir quelque chose », explique Laura à sa petite sœur devant un ciel étoilé. Oublier le monde visible pour contempler d’autres lumières, c’est bien sûr le geste des techniciens qui mettent en place un plateau de cinéma, allument les projecteurs, ou encore celui du spectateur dans la salle de cinéma. Les fantômes auxquels Planétarium fait une déclaration d’amour, ce sont bien ceux produits par les films, ces morceaux de réalité seconde qui nécessitent une sorte de transe hypnotique oublieuse du monde de la part des spectateurs, à l’image de celle vécue par Korben et les sœurs Barlow. Planétarium répète de long en large, hélas de manière trop appuyée, cette supériorité du film sur la vie : au cinéma, l’on maquille les actrices de manière plus intense, le seul baiser transportant littéralement Laura sera celui donné par son partenaire (Louis Garrel) sur un plateau de cinéma, et il sera avoué humblement que, si l’on fait du cinéma, c’est probablement pour revivre plus intensément ce que l’on n’a pas su vraiment éprouver. Autre signe du triomphe de la fiction sur le réel, les séances de captations rigoureusement scientifiques de l’activité paranormale de Kate s’avéreront elles aussi décevantes, nettement inférieures aux moindres trucages de Servier (Pierre Salvadori), le réalisateur fétiche de Korben.
« Une étoile est née »
Ce pouvoir de fascination pour les spectres de cinéma culmine au (trop bref) moment où Laura fait ses premiers essais pour la caméra. Ceux-ci, filmés de manière expérimentale, en noir et blanc, ou parmi le scintillement de paillettes, rappellent les essais de Romy Schneider pour L’Enfer de Henri-Georges Clouzot. Natalie Portman, rayonnante et glamour, semble attirer à elle la caméra qui se rapproche lentement en travelling avant, tandis que son reflet spectral apparaît dans l’objectif et le viseur de la machine. Le plus beau fantôme du film, c’est bien elle dont le moindre gros plan semble exercer un pouvoir hypnotique. Lily-Rose Depp, elle aussi, affublée lors des expérimentations de Korben d’un casque de filaments métalliques se retrouve filmée comme une étrange planète au même pouvoir d’attraction sur la caméra. Rebecca Zlotowski a un vrai talent pour rendre aux actrices toute leur puissance de « star » au sens propre du terme : elle les transforme en étoiles irradiantes au beau milieu d’un monde de plus en plus obscur et violent.
Essoufflement
Ce monde, c’est celui de la montée des fascismes et de l’antisémitisme, dont Korben, anciennement nommé Korbinski, devient l’une des victimes. Laura sera ainsi le témoin de la fin d’un temps, d’une petite bulle d’insouciance magique incarnée par le trio Barlow-Korben, dont il ne restera finalement plus qu’un seul souvenir nostalgique baigné de plumes aériennes et de bulles de champagne. On peut regretter que ce contexte politique et historique inquiétant, d’une redoutable actualité, ne soit qu’une très mince toile de fond à l’intrigue mélodramatique et « méta » des sœurs Barlow, étrangement surdéveloppée sur sa fin. D’un coup, le film se déséquilibre et bascule, les plus beaux fantômes s’évaporent – plus de plateaux de cinéma, mais, à la place, une intrigue maladroite de jalousie entre sœurs et, surtout, les plats démêlés de Korben avec ses actionnaires antisémites. Dommage, l’ambition du film était si belle. En réunissant les deux stars franco-américaines d’outre-Atlantique et l’acteur fétiche des débuts d’Arnaud Desplechin dans La Vie des morts et La Sentinelle, Zlotowski expérimente une intéressante synthèse entre cinéma d’auteur et cinéma grand public, cinéma américain et tradition française, tout en entrelaçant le passé du cinéma et sa modernité : pour filmer ces balbutiements d’expérimentation cinématographique, le chef opérateur George Lechaptois a tout filmé avec une toute nouvelle Alexa 65 dont le très grand capteur permet un rendu doux et précis même en basse lumière. Ainsi ce qui aurait pu être un très beau monstre de cinéma s’avère donc une jolie tentative de greffe élégante et prometteuse, qui s’épuise hélas trop vite.