Parmi les films les plus attendus de ce festival, Grand Central, deuxième film de Rebecca Zlotowski, figurait en haut de la liste, tant, en 2010, Belle Épine avait révélé un inédit romanesque nyctalope et sensuel. La perspective d’une passion amoureuse au cœur d’une centrale nucléaire prolonge cette veine singulière qu’a ouverte Zlotowski, où le désir se mesure au danger dans une économie noueuse. Pour autant, la même concision narrative qui faisait la force esthétique du premier film semble ici un peu asséchée, articulant de manière moins fluide la passion à l’enjeu. Gary Manda (Tahar Rahim, qui gagne sans pareil l’empathie du spectateur) débarque dans un groupe de techniciens de maintenance des centrales, en plaquant tout derrière lui, désespérant de gagner sa vie. À l’angoisse rampante de la « dose » qu’il se prend chaque jour et qui détermine les relations entre ses collègues se noue donc une histoire d’amour avec Karole (Léa Seydoux), la fiancée magnétique de Toni (Denis Ménochet), l’un des vétérans de la centrale. Romance adultérine, elle confère une dimension mélodramatique au film sans pourtant exalter le récit. Ce qui frappe surtout, c’est le schématisme qui les structure. Là où le travail à la centrale gagne en intensité sur la dramaturgie d’une dangerosité exacerbée, le récit sentimental semble décharné et infructueux dans les mouvements qui sont censés l’agiter, finalement assez figé en poses romantiques. On se demande : où est passée la durée, le temps qui fait les sentiments ? On comprend alors que la sensualité qui éclatait dans Belle Épine tenait à son urgence (que Prudence Friedman puisse enfin faire le deuil de sa mère) – que l’on retrouve ici dans la dégradation physique guettant les personnages masculins. Le désir de romanesque est bien là, notamment dans deux belles scènes-clé autour de l’alarme de la centrale, mais il y a quelque chose de trop abstrait, pas assez incarné dans la puissance réelle de cet amour quasi criminel, destiné à atomiser le microcosme nucléaire. Autant dire qu’il y avait matière à plus d’expérimentations esthétiques et que Zlotowski semble cette fois plus attachée à son scénario. Même lorsqu’elle renoue avec un onirisme érotique, ce n’est qu’une étape, belle mais sans effet sur la courbe émotionnelle du récit. Une sorte de préciosité dans le travail sur les longues focales et la gradation des flous qui n’est pas sans rappeler l’esthétique des films de Jacques Audiard, volontariste et un brin superfétatoire, grève la sensualité de la métaphore de l’amour toxique et manque l’exploration, à l’évocation pourtant envoûtante, de la centrale nucléaire. Par son incarnation défaillante, Grand Central pèche pour une raison majeure : comment figer ainsi Léa Seydoux dans un rôle aussi guindé de femme fatale du village quand sa suave impétuosité est l’une des plus belles matières à récit que le cinéma français ait connues ?