Si jamais, en allant au cinéma, votre téléviseur vous manquait, Maïwenn a pensé à tout ! En prenant une place pour son film, vous vous retrouverez devant un beau plateau télé, bien bigarré comme chez Ruquier, avec plein de célébrités qui se prennent pour des flics, des raccourcis sociaux à la pelle, le zapping expéditif d’un sujet à l’autre, des grosses plages gluantes de complicité. Et les gosses, alors ? Parce qu’il faut quand même signaler que le film se déroule à la Brigade de Protection des Mineurs. Eh bien, ils sont aussi là pour vous attendrir, vous faire sourire, vous faire chialer. Vous séduire, quoi. Allez, tout le monde sur le trottoir !
Vous êtes-vous jamais retrouvé dans ce genre de soirée où des amis, que vous connaissiez tous séparément, cherchent ensemble à vous prouver la connivence qui les lie ? N’avez-vous senti aucune gêne devant ce spectacle d’un entre-soi rejoué spécialement pour vous et qui, à force de vouloir vous convaincre, finit par vous exclure de sa scène ? Polisse reprend à son compte les principes de ce rituel social. On vous invite, vous spectateur, à jouir de la connivence qui règne entre le troupeau de célébrités qui peuple le film (Marina Foïs, Karin Viard, Nicolas Duvauchelle, JoeyStarr, Maïwenn, Sandrine Kiberlain, Lou Doillon, Anthony Delon, Audrey Lamy, et l’on en passe, un véritable défilé). Ces célébrités, qui ont endossé pour votre plus grand plaisir le costume de flics, plus précisément ceux de la Brigade de Protection des Mineurs, voient se succéder les affaires devant leurs bureaux. Non seulement nous sommes priés d’attester de leur franche camaraderie, mais d’admirer leur professionnalisme, de compatir à leurs faiblesses, etc. À force, on a du mal à distinguer de quel groupe Maïwenn voudrait nous convaincre à la fois de la rigueur et de l’humanité : s’agit-il des flics ou des célébrités elles-mêmes ?
Deux choses nous poussent à nous porter sur la deuxième solution. D’une part, les cas représentés par le film, et qui se présentent tous les jours à la BPM – enfants molestés, exploités, abusés sexuellement, séparés de leurs parents – ne servent qu’à lancer les longs numéros d’acting-out de ses acteurs, tantôt épuisants, drôles ou brillants. Ces numéros ont un trait commun : ils sont tous poussés jusqu’à l’épuisement, essorés jusqu’à plus soif, histoire de laisser tout le champ libre à l’expression des acteurs. Au point que rien ne paraît plus méprisant que ce caractère de promontoire à célébrités que le film accorde à sa matière documentaire. Les « cas » sur lequel il se penche, les personnes ou personnages que ces « cas » englobent, sont laissés purement et simplement de côté, balayés par le récit, ne servant guère plus que de marche-pied à ce bal des people.
D’autre part, le film est obsédé par la question de l’authenticité – difficile de trouver un plus affreux terme. Le regard que porte Maïwenn sur ses acteurs est mis en scène à l’intérieur du film par son rôle de photographe, censé documenter le travail quotidien de la brigade. Discrète, introvertie, elle se fait remarquer par sa posture d’objectivité qui jure avec l’engagement profond des flics, leur ancrage au terrain, et lui vaut des reproches. JoeyStarr l’interroge à plusieurs reprises : n’existerait-il pas un plus juste point de vue, entre l’anodin et le misérabilisme ? Entre les démantèlement hardcore d’un réseau de Roumains et la déconnade entre collègues autour de la machine à café ? Le problème de l’authentification, c’est qu’elle n’est rien d’autre qu’une procédure, et qu’elle ne connaît d’autre horizon que sa reconduction infinie. Ainsi, à mesure qu’il se pose sur chaque cas, le film adopte une forme sérielle, faite d’épisodes successifs, sans qu’une quelconque progression n’intervienne. Et quand l’authenticité est atteinte – et, parfois, elle l’est, surtout avec JoeyStarr, assez impressionnant – elle ne renvoie qu’à la performance de ses interprètes, dans un circuit fermé sur lui-même, auto-satisfait et qui ne rechigne jamais à user de démagogie pour arriver à ses fins (les incessants appels du pied faits au spectateur sur le dos des personnages secondaires, dont les acteurs principaux se moquent souvent). En somme, Polisse profite d’une solide matière documentaire pour redonner un peu d’authenticité aux créatures médiatiques qu’il emploie. Il fait souvent penser à ces plateaux de télé bigarrés où tout le monde se serait déguisé en flic le temps d’un sketch.
Bref, sous quelque angle qu’on le prenne, Polisse ne propose rien d’autre à son spectateur qu’un rapport de complicité envers le petit groupe d’artistes qui a contribué à sa propre existence. En voilà un qui tend déjà les mains vers sa (probable) récompense.