Présumé coupable
À l’annonce de la sélection du dernier Festival de Cannes, ceux qui attendaient de voir Ce sentiment de l’été de Mikhaël Hers ou Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin en sélection officielle eurent du mal à se résoudre à voir la place prise par Maïwenn. Elle qui, en 2011, a imposé à près de 2 millions et demis de spectateurs plus ou moins consentants une garde à vue forcée. Nous nous étions déjà ici émus de la balourdise un peu clinquante avec laquelle le casting quatre étoiles investissait la brigade de protection des mineurs et poussait les meubles de la chronique sociale pour se livrer à une surenchère de cabotinage. Le vilain suspense qui sourdait dans les interrogatoires du commissariat amenait le spectateur à pronostiquer lesquels des suspects entendus avaient véritablement violé une fillette ou qui était accusé à tort. Ici, pas d’ambition sociologisante, c’est déjà ça de gagné.
Pourtant, il est encore question de violence dans la sphère intime, et le spectateur, dans une moindre mesure, se voit ici aussi ménager une petite place bien confortable de juge qui détermine au gré des séquences qui est victime et qui est coupable. À travers un kaléidoscope de souvenirs, Tony (Emmanuelle Bercot) balaie les dix ans qu’a duré son histoire passionnelle et destructrice avec Giorgio (Vincent Cassel). Le roi de cette avocate divorcée en manque de confiance en elle serait-il un tyran domestique ? À vouloir faire exister l’histoire d’amour sous le drame psychologique, le film ouvre maladroitement à la réversibilité des positions, entre victime irritante et bourreau charmeur.
Le roi du casting
Mais le roi, c’est surtout celui que s’est choisi Maïwenn pour régner sur le casting de son film. Fidèle à son habitude, la réalisatrice tourne à deux caméras de longues prises en laissant une large place à l’improvisation de ses acteurs. Comme en son royaume, Cassel, souverain, séduit, amuse, cabotine, montre les muscles. Alors qu’il se rend compte, en déjeunant dans un grand restaurant, qu’il porte presque la même tenue que les serveurs, il en endosse brusquement les gestes, apportant coupes de champagne ou plats à ses voisins de table. À table, l’assistance se marre ou s’agace. Dans la salle de cinéma aussi. C’est précisément que l’acteur se met au service du film tout comme, réciproquement le film sert l’acteur sur un plateau, ce qui donne à ce numéro de charme une forme de complaisance.
Car avouons-le, pour les yeux de sa compagne de jeu qui sert de faire valoir ou pour le public, Cassel ne manque effectivement pas de charme. Son grand numéro de cabotinage est souvent très réussi et plutôt drôle. Mais le sentiment qui demeure est que la fin de toute séquence est la séduction en elle-même. Plaire à tout le monde, c’est ce que semble chercher à tout prix l’échantillonnage artificiel d’acteurs venus d’horizons divers. Seul Louis Garrel, parvient à s’insérer avec grâce dans cette famille de cinéma dépareillée qui semble viser le public du cinéma d’auteur avec les apparitions de Laetitia Dosch, d’Isild Le Besco ou de Paul Hamy comme celui, plus jeune, des followers du youtubeur Norman Thavaud.
Rééducation de l’âme
Le récit de cet amour passé, Tony le fait depuis la chambre du centre de rééducation où elle s’efforce de guérir son genou ruiné par un grave accident de ski. Elle s’y prend d’affection pour un groupe de jeunes garçons qui, à leur tour, puisque Vincent Cassel n’est plus là, viennent faire un festival de vannes pour divertir la malheureuse, mais aussi amuser le spectateur. Pénible impression, également, que des personnages estropiés ou amoindris doivent forcément être des petits gars sympas qui prennent la vie du bon côté. Que le tiers du film mette en scène des handicapés, ok, tant qu’ils sont jeunes et marrants.
Réparation du corps pour faire face à la destruction lente du cœur : Mon roi n’a pas peur des symboliques aux gros sabots. Pas peur non plus de la psychologie de comptoir. Alors que Tony explique à la kiné comment est survenue sa chute de ski, cette dernière lui demande répéter lentement le lieu de sa blessure : « ge-nou/ Je-nous ». Les charnières entre les scènes viennent ainsi tracer de grosses flèches pour diriger le spectateur dans le portrait amoureux d’un personnage de salaud magnifique, contrant les effets d’ambiguïté que Cassel parvient à lui donner. On retrouve ici une forme de racolage, de roublardise des sentiments extrêmes qui heurtait déjà dans les précédents films de Maïwenn. À force de se mettre toujours du côté de son personnage, Mon roi est comme lui : un dragueur de boîte de nuit. L’énergie qu’il déploie pour séduire peut faire rire. De là à se montrer dupe de ce beau parleur…