La sélection du film de Maïwenn en compétition officielle a beaucoup fait râler : sélectionner Mon roi plutôt que d’autres films français, comme par exemple celui d’Arnaud Desplechin a fait grincer beaucoup de dents. Il est vrai qu’après la garde à vue forcée subie avec Polisse, il y a de quoi craindre, en effet. Le vilain suspense qui sourdait dans les interrogatoires du commissariat et amenait le spectateur à faire son petit pronostic si tel ou tel suspect avait ou non violé une petite fille n’a pas cours. C’est déjà ça ! Ici, il s’agit d’amour.
Le Roi, c’est Giorgio / Vincent Cassel. Celui qui a ravi le cœur de Tony, jeune avocate divorcée, lorsqu’elle l’a rencontré en boîte de nuit il y a dix ans. À travers des flash-backs, elle remonte le fil des souvenirs de leur relation de couple passionnée et violente.
Mais le roi, c’est surtout celui de Maïwenn, qui, fidèle à son habitude, tourne ici à deux caméras de longues prises laissant une large place à l’improvisation de ses acteurs. Après Le Bal des actrices, le Couronnement de l’acteur, donc. Comme en son royaume, Cassel séduit, amuse, cabotine, montre les muscles. Alors qu’il se rend compte, en déjeunant dans un grand restaurant, qu’il porte presque la même tenue que les serveurs, il en endosse brusquement aussi les gestes, apportant coupes de champagne ou plats à ses voisins de table. L’assistance du restaurant se marre ou s’en agace. Le public de la salle de cinéma aussi.
C’est ce qui gêne très souvent dans Mon roi : le numéro de charme permanent que nous livre l’acteur, mais aussi le film. Par ses grands numéros de cabotinage, qui marchent le plus souvent assez bien (Vincent Cassel en roue libre est plutôt drôle, tout comme Louis Garrel). Par son casting « all united » : toutes générations et toutes familles de cinéma confondues, qui va de Norman Thavaud à Laetitia Dosch ou Paul Hamy. Par son équipe technique haut de gamme emmenée par la chef opératrice Claire Mathon. Par son recours permanent à l’ascenseur émotionnel qui passe par tous les étages de l’hystérie, joyeuse comme dépressive.
Le récit de cet amour passé, Tony le fait depuis la chambre d’hôpital où elle s’efforce de guérir son genou ruiné par un grave accident de ski. Elle s’y prend d’affection pour un groupe de jeunes garçons qui, à leur tour, puisque Vincent Cassel n’est plus là, viennent faire un festival de vannes pour divertir la malheureuse, mais aussi amuser le spectateur. Pénible impression, alors, que des personnages estropiés ou amoindris doivent forcément être des petits gars marrants qui prennent la vie du bon côté. Que le tiers du film mette en scène des handicapés, OK, tant qu’ils sont jeunes et sympas.
La réparation du corps pour faire face à la destruction lente du cœur : Mon roi n’a pas peur des symboliques aux gros sabots. Pas peur non plus de la psychologie de comptoir. Alors que Tony explique à la kiné comment est survenu sa chute de ski, cette dernière lui demande de répéter lentement le lieu de sa blessure : « ge-nou / Je-nous ». Les charnières entre les scènes viennent ainsi tracer de grosses flèches pour diriger le spectateur dans le portrait amoureux d’un personnage de salaud magnifique, contrant tous les effets d’ambiguïté que Cassel avait pu lui offrir. On retrouve ici une forme de roublardise, de racolage des sentiments extrêmes qui heurtent dans les films de Maïwenn. Mon roi est tel que son personnage : un dragueur de boîte de nuit. L’énergie qu’il déploie pour séduire peut faire rire. De là à se montrer dupe de ce beau parleur…