Jeanne du Barry est, sous son épaisse mousseline d’académisme, un film (un peu) plus curieux qu’il n’y paraît, ne serait-ce que parce qu’il déroge à son programme attendu, souligné pourtant par une première scène explicite où la jeune Jeanne se fait tirer le portrait. Du Barry, Maïwenn l’a beaucoup répété en interview, ce serait elle, une femme pleine de vie qui, par son énergie et son audace, parviendrait à s’imposer au sein d’un microcosme lui étant initialement hostile (comprendre : le cinéma français). Or le film organise au fond exactement l’inverse, par un principe de casting sur le papier prometteur : Maïwenn, devant et derrière la caméra, s’affirme davantage comme la reine sans partage de son film, et Johnny Depp, avec son accent un peu raide et son aura (à moitié ternie) de star hollywoodienne, endosse le costume du transfuge sulfureux et peu fréquentable de la distribution. Autrement dit, du Barry, c’est lui. L’idée d’inverser ainsi les deux pôles est potentiellement géniale, mais Maïwenn n’a pas l’audace de Louis XV qui, dans le récit, impose sa scandaleuse favorite, en dépit d’un cadre protocolaire rigide et d’une foule de courtisans ne rêvant que de voir tomber en disgrâce celle que l’on surnomme « la créature ». Contrairement au monarque énamouré, elle ne s’autorise pas à exploiter réellement la suprême étrangeté de « son » du Barry à elle. Elle aurait même tendance à la lisser – Johnny Depp a beau conserver son magnétisme (il a rarement autant capitalisé que dans ce film sur la force de son regard), sa présence devient, progressivement, tout à fait normalisée. L’excentricité originelle (du personnage de Maïwenn, du jeu de Depp) se voit peu à peu reléguée à la marge du récit, soit littéralement sa place naturelle (en dehors du centre) : c’est aux filles du roi, sortes de sœurs de Cendrillon échappées d’un Walt Disney, d’endosser cette fonction, notamment grâce à la prestation hirsute d’India Hair, qui cabotine avec délectation.
C’est que la cinéaste a le rêve tristement ordinaire de réaliser son film en costumes bien soigné où rien ne dépasse, son mélo compassé et insipide. Il n’est pas anodin que le film choisisse, en s’en cachant à peine, un autre acteur à la place de Depp comme pivot du récit : Benjamin Lavernhe de la Comédie Française (à prononcer d’une traite, comme s’il s’agissait de son titre de noblesse), en valet guindé au grand cœur, dont la voix-off commente l’évolution de la scandaleuse de Versailles. Voilà la vraie finalité de cette visite dans la galerie des Glaces : l’Histoire narrée par un sociétaire du Français, qui donne sa supposée profondeur à un petit drame se coulant dans la grande généalogie de la monarchie (le tournant mélo, très raté, de la dernière partie). Le principal tort de Maïwenn n’est pas, comme on pourrait le croire, d’avoir voulu bâtir un film à la hauteur de son égotisme – la chose aurait été autrement plus passionnante –, mais plutôt de ne pas avoir osé aller au bout de ce qu’impliquait son curieux projet et de s’en tenir à une narration curieusement figée. Versailles, c’est elle.