Film issu d’une expérience initialement théâtrale, Pour le réconfort de Vincent Macaigne, en garde le geste de la captation. En somme, il s’agit moins de filmer de manière réaliste le retour d’un frère et d’une sœur « bien-nés » (Pauline Lorillard et Pascal Reneric) dans leur maison familiale natale que de saisir en gros plan des acteurs en train de jouer sur une scène toujours fuyante. La mise en scène du jeu se retrouve dans le projet initial. C’est, il semblerait, par accident que l’atelier de lecture de la Cerisaie de Tchekhov mené par Vincent Macaigne et ses amis comédiens s’est transformé en objet de cinéma. Au gré des interprétations, l’accumulation des rushes a commencé et Pour le réconfort peut ainsi se lire comme un documentaire sur une pièce en train de se fabriquer, sur le geste d’appropriation d’un texte par des acteurs sans déguisement et sur les liens qui se tissent inéluctablement entre la Russie du 19ème siècle et la France d’Emmanuel Macron. Avec des moyens de production limités, Vincent Macaigne livre ici une version dépouillée, distanciée mais éminemment politique du classique russe. Les membres de sa troupe s’y prennent au jeu de l’invective parfois cacophonique pour rendre visible et questionner ces lignes de partage social, toujours tenaces.
La guerre civile aura lieu
La caméra semble se promener pour isoler çà et là des séries de confrontation et de face à face manqués dans lesquels ne filtre, à travers une esthétique de la vacherie, que le ressentiment des uns pour les autres. Dans ces règlements de compte, tout semble joué, l’un reproche à l’autre ce qu’il est devenu tout en faisant preuve d’une forme de déterminisme tragique quant à ses possibilités d’évolution. C’est ce que dit parfaitement Pauline dans son premier monologue dont la violence crue tranche avec le prologue rohmérien en voix-off : elle affirme à Pascal que rien ne peut changer. En tant que grands bourgeois coupables d’une faute ancestrale, ils sont déjà morts. Mais, une violence plus forte encore oppose les aristocrates à Emmanuel l’entrepreneur, le Lopakhine local, gérant de maison de retraite qui se glorifie de son travail et veut racheter la demeure familiale pour y étendre son commerce. Dès la première scène de fête, son regard mauvais et colérique annonce l’incommunicabilité à venir. Par la suite, Macaigne n’a de cesse que de matérialiser les frontières et les séparations entre le capital et le travail comme dans cette très belle scène de discours entrecroisés dans la cuisine où la communication s’opère vraiment de biais entre des personnages qui ne s’écoutent pas et sont devenus inaudibles, le mépris d’un côté, la jalousie légitime de l’autre. Hasard de production, le mixage sonore parfois vraiment artisanal (et désagréable, notamment dans la scène de concert à Orléans) vient souligner cet assourdissement général que rythment aussi les injonctions musclées des uns et des autres à se taire.
Vers l’idiotie
Il y a quelque chose d’étonnant dans l’effet de défamiliarisation et de flou anachronique que provoque la transposition de Tchekhov à la France d’aujourd’hui. Les personnages du dramaturge russe parlaient sur fonds d’aristocratie et de servage et la Cerisaie mettait en scène la revanche des affairistes sur les dominants ancestraux. Chez Macaigne, la modernité vient bien tuer la tradition mais sous la forme d’une autre paralysie mortifère que représente bien la maison de retraite que dirige Emmanuel. « L’avenir appartient aux vieux » affirme-t-il à qui veut l’entendre. En ce sens, malgré les éclats de voix, il faut apprécier la finesse avec laquelle Macaigne traite la lutte des classes, dans une partition très éclatée qui n’est pas toujours lisible politiquement, dans laquelle il est difficile de prendre parti et qui se voit sans cesse renégociée par une foule d’autres différenciations morales.
En effet, Emmanuel représente une lignée de souffrance dont il se réclame, néanmoins il agit aussi dans son intérêt personnel, avec une certaine cruauté et une certaine malice dans le sacrifice de la propriété. Après une première partie plutôt muette que l’on regrette, Pascal éclate enfin et finit par lui asséner cette réplique : « Même riche, tu serais pauvre. » On entendrait à tort l’insulte comme une simple manifestation de l’orgueil du noble. C’est aussi une forme de valeur morale et non monétaire que revendique nostalgiquement Pascal et que regrette Pauline en s’adressant au spectateur dans un monologue final (« Avant tu riais tout le temps »). Celle-ci transparaît dans des moments de poésie visuels comme cette baignade nocturne sur fonds de coucher de soleil et d’apaisement après la bagarre ou dans cette écoute attentive d’un SDF malheureux. En ce sens, le film est aristocratique car après la rixe des meurtris et des puissants, même si la maison disparaît, il reste une forme de courage au-delà de l’égoïsme, une forme d’indifférence lucide que l’on pourrait appeler le réconfort.