Quelques jours après la fin du festival, nous vous livrons nos impressions sur l’édition 2012 de Côté court. La programmation pantinoise fait partie des rendez-vous incontournables autour du court-métrage, que le festival explore dans toute sa diversité : variété des longueurs, des styles, des genres, des moyens et des ambitions. Avec ses compétitions « Fiction » et « Expérimental-Essai-Art Vidéo », ses sélections « Panorama », « L’écran des enfants », ses ateliers pour jeunes réalisateurs, lectures de scénarios et masterclasses, le festival Côté court nous a proposé en dix jours un voyage tourbillonnant et foisonnant sur la planète Ciné 104, habitée de films aux formats singuliers.
Impressions
La plus grande frustration de Côté court réside dans le fait de ne pas posséder le don d’ubiquité : comment faire pour voir et entendre tout ce que le festival a à offrir ? Du 6 au 16 juin, c’était un peu Noël tous les jours pour les drogués de ciné. Alors, pour éviter l’overdose (ce serait quand même le comble !), nous avons concentré notre attention sur la compétition Fiction, composée de vingt-cinq films de longueurs très variables : 9 à 54 minutes. Cette sélection particulièrement hétéroclite s’organise en effet sur une conception très inclusive du terme de court-métrage, avec une sélection mélangeant en fait des courts et des moyens-métrages (ces derniers ayant déjà été repérés dans plusieurs festivals, dont les Rencontres Européennes du Moyen Métrage de Brive, couvert par Critikat en avril dernier). L’allongement de la durée des films sélectionnés avait déjà été remarqué dans le compte-rendu de l’édition 2011.
Mais la persistance de cette tendance mérite d’être soulignée, car elle oblige à s’interroger sur le regard porté individuellement sur chacun des films et sur l’inévitable tentation comparatiste induite à la fois par la projection consécutive de trois ou quatre films et la découverte rapprochée de sept blocs de films en tout. On ne va pas appréhender de la même façon un film de dix, trente ou cinquante minutes et projeter le même horizon d’attente en fonction de la durée du film (connue à l’avance grâce au programme papier). Si la collision de ces divers formats ne constitue pas un problème en soi, il suscite une interrogation sur les effets de hiérarchie inévitables induits par les choix de sélection et l’organisation du programme. Le palmarès témoigne de l’aura certaine des films les plus longs de la compétition : La Maladie blanche (Christelle Lheureux, 41′) remporte le Grand Prix fiction, Ce qu’il restera de nous (Vincent Macaigne, 41′) le Prix spécial du Jury et le Prix de la Jeunesse, Bagni 66 (Luca et Diego Governatori, 54’) la Mention spéciale du jury, Vilaine fille mauvais garçon (Justine Triet, 30′) le Prix de la Presse et le Prix d’interprétation féminine. La qualité de ces films justifie complètement leurs distinctions, mais il est intéressant de constater la surreprésentation des moyens-métrages dans la liste des récompenses. Ces films n’ont-ils pas aussi marqué davantage les esprits du fait de leur durée par rapport à des films plus courts, demeurés dans l’ombre de ses « mastodontes » ? L’allongement de la durée des films courts doit-elle être considérée un symptôme de la création contemporaine, particulièrement mise en valeur par Côté court ? La sortie en salles de films au format « bâtard » constitue un fait significatif ces derniers temps. Le Naufragé et Un monde sans femmes de Guillaume Le Brac, Ce qu’il restera de nous de Vincent Macaigne, Je sens le beat qui monte en moi de Yann Le Quellec viennent constituer une série d’exceptions qui confirme la possibilité pour des films aux formats singuliers de trouver la voie d’une exploitation plus traditionnelle, au-delà du réseau des festivals et des ciné-clubs. D’une certaine façon, l’importance des moyens-métrages dans la compétition Côté court vient aussi souligner la reconnaissance nouvelle de ces « films du milieu » (en termes de longueur).
Je sens le beat qui monte en moi, réalisé par Yann Le Quellec
Au-delà de ces considérations structurelles et stratégiques, remarquons la singularité de ton de cette compétition : les films construisant ensemble une dialectique de programme fort intéressante. D’une projection à l’autre, nous avons rencontré des personnages marginaux et tourmentés, tantôt en colère et en rébellion, tantôt essoufflés par les aléas d’une existence précaire ou inadaptée à leur vision de la vie. Un peu plus d’un mois après les élections présidentielles, les films de la sélection battent en brèche la valeur « travail » et la notion de mérite si chères au président sortant. En vingt-cinq films, nombre de personnages crient leur volonté de ne pas être résumés à leur activité professionnelle (ou à son absence), d’exister au-delà d’un étiquetage social, de trouver la sérénité et de cherche le bonheur en dehors des normes d’une société où le travail et la famille sont pensés comme des modèles figés. Tous trouvent des façons différentes d’exprimer ce besoin vital d’exister selon sa propre philosophie de vie : qu’il s’agisse du quadragénaire Rodri dans le film éponyme de Franco Lolli, du marginal Thibault dans Ce qu’il restera de nous de Vincent Macaigne, des adolescents en cours d’orientation de Jeunesses françaises, du réalisateur débutant et incompris de Fais croquer, de l’étrange Séraphin, fasciné par Walter Benjamin dans Les Anges de Port-Bou de Vladimir Léon…
Retour sur le palmarès de la compétition fiction
La Maladie blanche de Christelle Lheureux, récompensé du Grand Prix fiction, est un film envoûtant. La beauté plastique du noir et blanc contrasté crée d’entrée de jeu une ambiance singulière. Déjà repéré pendant les Rencontres Européennes du Moyen Métrage de Brive, ce film fascine par sa capacité à mêler une approche documentaire et un élan onirique à travers ses choix photographiques et son mode de filmage. L’histoire, secondaire aux dires de la réalisatrice, se construit par touches au fil de discussions qui semblent saisies au vol par la caméra durant un soir de fête dans un village ardéchois. Ainsi le film paraît toujours à la limite du documentaire et de la fiction, semblant inventer sa propre forme tout au long de son déroulement. Le montage alterne les plans sur la place en fête et les conversations dans les rues adjacentes. L’amour de Christelle Lheureux pour ce lieu, magnifié par le travail plastique de l’image, transparaît dans chaque séquence. Dans cette découverte aléatoire, la concentration du récit sur un père et sa fille, éloignés de la rumeur de la place principale, teinte ensuite La Maladie blanche d’une délicatesse feutrée. La petite Myrtille, fascinée par l’apparition d’un sanglier, emporte le film à la limite du merveilleux sous une lumière lunaire et dans une forêt abritant des cachettes caverneuses où tout semble possible. L’invitation au rêve se mêle aux souvenirs des contes.
La Maladie blanche, réalisé par Christelle Lheureux
Vincent Macaigne est doublement récompensé à Côté court avec le Prix spécial du Jury et Prix de la Jeunesse (un choix surprenant mais audacieux !). Ce qu’il restera de nous a bien fait parler de lui depuis le Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand, où ce premier film de l’acteur repéré dans Le Naufragé et Un monde sans femmes avait déjà été primé. Avant de vivre ces aventures cinématographiques, Vincent Macaigne est un homme de théâtre, dont les mises en scène exubérantes, et souvent sanguinolentes, revisitent des classiques avec une force corrosive. Quand il adapte Hamlet, rebaptisé Au moins j’aurai laissé un beau cadavre (Avignon 2011), Vincent Macaigne revient à la source de la légende danoise qui inspira Shakespeare et confronte les spectateurs au déchaînement des pulsions et à la violence des émotions. Sur le plateau, les personnages se mettent littéralement à nu, se maculent de sang et de toutes sortes de fluides. L’exubérance et la radicalité de son travail scénique ne pouvaient qu’attirer la curiosité lors de son passage à la réalisation. C’est un peu de cette folie, si symptomatique de cet homme discret, que l’on retrouve dans Ce qu’il restera de nous. Thibault, Anthony et Laure s’y perdent en tirades-fleuves pour dire toutes leurs rancœurs et tous leurs regrets, pour se libérer du carcan de la mascarade sociale et familiale où le non-dit n’est qu’une bombe à retardement. Le déchaînement des voix et des corps est contrebalancé par un usage simple et précis des outils cinématographiques. Les plans, souvent larges, jouent habilement sur les possibilités de surcadrage et la profondeur de champ dans des décors clairs et ouverts. Dans un très long plan fixe, Laure, le visage couvert de rouge à lèvres telle une Ophélie maculée de sang, se pare de ce masque pour mieux laisser éclater la vérité sur tout ce qu’elle pense d’un mari méprisant. Ça crie, ça insulte, ça frappe, ça hurle jusqu’à l’essoufflement… et c’est diablement juste.
Ce qu’il restera de nous, réalisé par Vincent Macaigne
Mention spéciale du jury, Bagni 66 de Luca et Diego Governatori pose problème du fait de sa longueur. On est bien loin du court-métrage et l’on aimerait en voir davantage. Le film produit l’impression d’un manque, génère une frustration, parce qu’on y est si bien qu’on en prendrait volontiers une demi-heure de plus. Bref, Bagni 66 a des airs de long-métrage tronqué. Sous le soleil de l’Italie, Elio (Marc Vittecoq) retrouve son père (Aroldo Governatori) et les bagni, ce stand de parasols, chaises longues et jeux de plage, créé par ses grands-parents et repris par un père désormais usé. Aroldo veut passer la main pour se consacrer à d’autres activités, mettre le travail derrière lui et chercher « la tranquillité, la béatitude » (de ses propres mots). Elio parle français, Aroldo italien la plupart du temps : les disputes bilingues font entendre le décalage permanent entre ses deux êtres dont les relations heurtées ont toujours été ponctuées les absences d’un père autrefois plus nomade et rarement présent. La double nationalité d’Elio et le prénom de son père teintent le film d’une dimension biographique incertaine. Quand, au chevet de son père hospitalisé, Elio préfère ne pas l’entendre se justifier sur ses absences passées, l’échange gêné en est d’autant troublant. Ce film touchant oscille entre naturalisme et onirisme avec une harmonie déconcertante. La caméra mobile accompagne la vivacité des gestes et l’énergie de dialogues fluides, donnant l’impression d’improvisations travaillées. La longue scène de repas entre amis, très découpée, rappelle le meilleur d’Abdellatif Kechiche, quand le cinéma semble se substituer à la réalité pour la rendre encore plus juste, plus aiguë. Mais Bagni 66 ajoute à ce mouvement authentique l’élégance de couleurs chaudes, la présence solaire de Salomé Stévenin, la beauté de cadres travaillés jusqu’à l’abstraction, la vibration impressionnante d’une musique transformant la plage en une zone mystérieuse, où les sens sont décuplés sous la torpeur adriatique, où les êtres se heurtent, se confrontent, s’attirent…
Autres surprises
Les Condiments irréguliers, réalisé par Adrien Beau
Dans l’ensemble, le palmarès de cette compétition fait honneur aux films qui ont retenu notre attention. Même si l’on doit reconnaître d’autres coups de cœur : pour le fantastique Sand de Sophie Sherman par exemple ou le mélancolique Snow Canon de Mati Diop, déjà repéré lors de la dernière Mostra de Venise. Dans sa section « Compétition fiction », Côté court met en valeur des films incontournables de la production récente, mais inclut aussi des films à la limite de la catégorie expérimentale : comme le beau In Loving Memory (Jacky Goldberg), où les image Super 8 et la surimpression sont utilisés pour construire un étrange récit de science-fiction, ou le film très opaque de Jayne Amara Ross, The Freetman Calf, que notre œil parcourt sans parvenir malheureusement à retenir une seule image. Des choix discutables au regard de la qualité des certains films de la sélection « Panorama », dont nous aurions bien basculé quelques pépites en compétition, comme Les Ficelles de Frédéric Bayer, Je sens le beat qui monte en moi de Yann Le Quellec ou Les Condiments irréguliers d’Adrien Beau. Mais lorsqu’on rédige sa liste au Père Noël, on n’a pas toujours tout ce que l’on veut !