En quelques années, Virgil Vernier s’est taillé une place particulière dans le cinéma indépendant français. Composée autant de courts, de moyens que de longs métrages, tournés en pellicule et à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, sa filmographie s’intéresse à la description de lieux périphériques, à l’aura mystérieuse et anachronique, dans lesquels des corps déambulent à la recherche d’eux-mêmes. Vernier poursuit son parcours sinueux dans ce nouveau court, Sapphire Crystal, tourné avec peu de moyens aux côtés d’élèves de l’HEAD, une école de cinéma de Genève. La caméra suit durant la nuit un groupe de jeunes adultes embourgeoisés, de leur virée en boîte jusqu’au lever du jour, en passant par la villa de l’un d’entre eux.
Le film s’ouvre et se termine par deux images d’un jet : d’abord celui d’une bouteille de champagne de luxe en discothèque, puis ceux des jets d’eau de la ville de Genève. Par là, Sapphire Crystal livre une représentation poétique à partir d’une image captée par un téléphone portable, à savoir la puissance éjaculatrice du champagne comme équivalent des jets d’eau artificiels. Virgil Vernier prolonge ainsi un travail mis en œuvre depuis ses débuts : dresser le portrait d’une ville par le truchement de trouvailles plastiques. Sapphire Crystal s’inscrit dans la ligne de ses deux longs-métrages, Mercuriales et Sophia Antipolis, deux portraits de lieux. Il émane de ce Genève une atmosphère mélancolique, alors que son imaginaire renvoie plutôt à la superficialité et à la richesse clinquante. Ici, le logo de la marque Rollex n’éclaire que le silence dans la nuit noire. Si la déambulation nocturne des personnages est prétexte à cette description urbaine, celle-ci n’intervient toutefois qu’au dernier tiers du film, puisque ce qui la précède se concentre plutôt sur les discussions de jeunes adultes dans des lieux clos. Dans une forme héritée du « cinéma-vérité », ces moments filmés à l’aide d’un téléphone portable s’avèrent pourtant assez vains. La mise en scène se limite à des plans du groupe et des visages, sans interaction avec le reste du décor. Bien que les dialogues semblent foncièrement naturels et brouillent la frontière entre la réalité et la fiction, il est très difficile de créer un sentiment d’attachement vis-à-vis des personnages. Leurs conversations et leurs interactions portent un sens (il est toujours question de faire pénétrer dans son corps de la merde, comme de la cocaïne ou littéralement des excréments, lors d’une anecdote), mais celles-ci collent assez mal aux figures plastiques qui intéressent Virgil Vernier. En somme, Sapphire Crystal brille davantage quand il filme les espaces urbains, desquels émanent des figures géométriques picturales et poétiques, que lorsqu’il se concentre sur les conversations des personnages, dont la forme, glacée, étouffe leur capacité à devenir autre chose que des figures absentes, pétrifiées dans leur vanité de nouveaux riches.