Commissariat s’avère être l’extension de Flics (2006), qui se déroulait dans une école de police. Dans le second volet de que ce qui s’apparente donc à un diptyque, certains des jeunes poulets connus en apprentissage se trouvent désormais au grand air, au contact de la réalité difficile d’une petite ville de Normandie.
Pour situer Commissariat dans la production documentaire, on dira qu’il s’agit d’un film embarqué – trois mois de tournage en équipe des plus réduites, les deux seuls réalisateurs – dans une bulle, ici celle de policiers dans l’exercice de leurs fonctions, dans laquelle pénètrent des citoyens plus fâchés avec la société que véritablement la loi. Les réalisateurs n’ont pas fait le pari d’un dispositif complexe et se sont appuyés sur la fonction d’enregistrement de la caméra : « avec simplicité, transparence, et sans artifice en nous effaçant derrière la situation filmée » précisent-ils, comme pour se situer dans une veine assimilable à Raymond Depardon. Cette mise en scène fonctionne en effet par blocs étirés, au sein desquels le montage intervient peu. La dimension et la précision photographiques sont moins affirmées que chez l’auteur de Faits divers (1982), saisissante évocation du quotidien d’un commissariat du 5e arrondissement de Paris. Signalons enfin qu’Ilan Klipper a depuis réalisé Sainte-Anne, hôpital psychiatrique (2010). Ce dernier fut primé au dernier Festival Visions du réel à Nyon et entre ainsi naturellement en dialogue avec un pan de la filmographie de Depardon : Urgence (1988) et San Clemente (1982, co-réalisé avec Sophie Ristelhueber).
Sauf pour le goût du réel, on ne retrouve pas ici l’écriture cinématographique malicieuse (Autoproduction, 2008), fantaisiste et parfois vertigineuse (l’excellent Thermidor, 2009) des courts-métrages de Virgil Vernier, ce que l’on regrette : car, loin d’être dénué d’intérêt, Commissariat manque quelque peu de relief. Si le milieu policier est un réservoir fictionnel sans fond, les réalisateurs – sans toutefois y renoncer – ne s’inscrivent pas dans un ®appel perpétuel de celui-ci. Ce qui n’est pas reprochable tant la recette s’avère éculée. On peut répertorier trois régimes d’image : flux de déplacements pris en charge dans les véhicules, cadrages d’ensemble incluant les protagonistes dans leurs échanges et plans serrés individualisant fortement les visages, ces derniers dégagent la plus forte intensité cinématographique, particulièrement quand le hors champ sonore vient en contrepoint. Comme en témoigne le peu de cas accordé à l’action et aux opérations policières, l’attention des filmeurs s’est fixée sur le lien et le langage entre policiers et administrés.
Comme certains apprentis fraîchement diplômés, le duo de cinéastes a été « affecté » par le ministère de l’Intérieur au commissariat d’Elbeuf, petite ville moribonde et désoeuvrée proche de Rouen. De la part d’Ilan Klipper et Virgil Vernier comme des policiers, on ressent une nécessité d’appréhender ce lieu socialement déglingué, ce qui n’est pas une mince affaire. En témoignent ces longs plans où l’on parcourt l’espace en automobile, comme s’il s’agissait de s’approprier un territoire étranger. En ce sens, on peut avancer l’idée qu’une communauté de regard s’est forgée, cinéastes et policiers prennent le pouls de cette ville, d’un point de vue assez analogue, la cruauté de certains jugements en moins.
De quel point de vue Commissariat est-il plus globalement filmé ? La question mérite en effet d’être posée. Malgré ce que l’on peut percevoir (notamment des conditions de garde-à-vue), l’objet n’est pas motivé par le fait de dresser un portrait à charge (ou décharge) de la fonction policière, de laquelle se dessine un tableau nuancé et complexe. La qualité du métrage est justement de parvenir à complexifier son point d’énonciation pour interroger la nature des liens entre dépositaires de la loi et ceux qui franchissent, plus ou moins, la ligne rouge. De ces multiples interactions émerge l’idée que ce commissariat est le dernier maillon de faillites en chaîne : de la cellule familiale, des structures éducatives et plus globalement d’un projet de vie en collectivité. Une étrange impression fait son chemin lors de ces multiples face-à-face plus ou moins tendus et conflictuels : deux solitudes qui se regardent, certes en chien de faïence, mais non sans se reconnaître.