La relative déception de The Strangers arrive à un moment où notre moral de festivalier, émoussé par une série de déconvenues face à des films attendus au tournant, glisse doucement vers la sinistrose. On attendait du coup de Na Hong-jin, réalisateur des réussis The Chaser et The Murderer, qu’il relance un peu notre désir alors que le festival entame sa dernière ligne droite. Car le film promet beaucoup : dans un petit village tranquille, une série de meurtres sanglants et la multiplication de crises de démence indiquent la présence d’une force surnaturelle à l’œuvre. Rapidement, celui que l’on appelle « le Japonais », donc l’étranger, est désigné comme le seul suspect. Si ce point de départ rappelle vaguement celui de The Murderer, qui déjà entrelaçait un argument de thriller et un conflit identitaire (l’immigration clandestine des Sino-Coréens), ce nouveau film s’en détache assez nettement. Car là où The Murderer et The Chaser reposaient tous deux sur une dynamique de jeu entre un chat et une souris (avec, d’un film à l’autre, les deux mêmes acteurs invertissant les rôles du prédateur et de la proie), The Strangers semble, quant à lui, prendre la voie d’un récit de contamination : contamination d’un village par le mal, contamination d’un corps (celui d’une petite fille) par un esprit maléfique, contamination de l’espace filmique par une folie gore et grotesque. Or, c’est précisément pendant la mise en place du film, qui offrait à Na Hong-jin un boulevard pour faire monter doucement la tension et l’effroi, que le cinéaste se prend complètement les pieds dans le tapis en donnant tout à voir dans les premières minutes : apparitions surnaturelles, jump-scares fugaces, déferlement d’horreur. Sauf que l’addition des éclats, collés les uns aux autres sans que s’en détache une logique de montage forte, tend plutôt à atténuer leur force intrinsèque et à dilapider une partie du potentiel du récit.
Si bien que le film, parti sur des fondations friables, avance brinquebalant vers son duel entre un policier dont la fille est possédée et ce « stranger », duel dont la fadeur est toutefois relevée par un sens comique propre à cette école sud-coréenne (Bong Joon-ho, Park Chan-wook, Kim Jee-woon) où la violence, poussée jusqu’au ridicule, finit par colorer les scènes d’un réjouissant grand-guignolesque. Mais ce n’est qu’au bout de deux heures, lorsque cette opposition se résout assez chaotiquement, que le film (re)démarre véritablement en redistribuant les cartes de son intrigue. Le film prend alors un virage surnaturel qui à la fois impressionne beaucoup plus que le présumé morceau de bravoure du cœur du film – ce duel de shamans en montage alterné – et se révèle par ailleurs plus subtil dans sa façon d’insinuer de l’inquiétude à l’édifice. La simple présence d’une femme, ou des phénomènes surnaturels soudains (hémorragie disproportionnée, pluie de papillons sur le pare-brise d’une voiture), se marient au spectacle étrange de diablotins immortalisant leurs forfaitures avec leurs appareils photos. Le calme horrifique de ce final, d’une beauté déjà entêtante, atténue la déception relative de ce film certes sur le papier très excitant, mais dans les faits pas vraiment accompli.