Nouvelle réédition pour La Balade sauvage et nouvelle visibilité grâce à la palme remportée à Cannes par le dernier film de Terrence Malick (The Tree of Life). Le premier long-métrage du cinéaste, qui conte la balade meurtrière du couple formé par Holly (Sissy Spacek) et Kit (Martin Sheen) à travers les États-Unis, s’assure d’emblée une certaine carrière en salles.
Depuis son âge d’or dans les années 1970, le road-movie a subi de nombreuses mutations. Revenir sur La Balade sauvage, c’est donc revenir au classicisme d’un genre, ce qui n’est pas sans constituer un certain paradoxe étant donné le souffle nouveau que ce film a représenté en son temps. Mais trente-cinq ans plus tard, on est en droit de se demander si La Balade sauvage a conservé toute sa modernité ou s’il ne pâtit pas du passage du temps. Quel écho de la révolte de la jeunesse américaine des années 1970 contre l’autorité (gouvernementale, parentale, etc.) aujourd’hui ? Si l’escapade insouciante de Holly et Kit comme réponse au carcan social paraît aujourd’hui un peu naïve et présente une idée de la liberté un peu vieillotte, mieux vaut y voir le premier maillon d’une œuvre à venir. Le premier long-métrage de Malick pose déjà la question qui hantera toute sa filmographie : comment créer un lieu de vie idéal au sein d’une terre hostile (déclinée dans The Tree of Life en situation hostile : la mort d’un enfant). Le titre original de l’œuvre vaut ainsi qu’on le rappelle : Badlands, ces mauvaises terres que l’on brûle au son d’un chœur religieux (faut-il passer par l’Enfer pour parvenir au Paradis ?) et qu’on brûlera à nouveau dans la plus belle séquence des Moissons du ciel, lors d’une apocalyptique attaque de sauterelles.
Si le film de Malick constitue le modèle d’une tendance cinématographique qui émergera dans les années 1990 – les road-movies meurtriers –, ce film-source a ceci de spécifique qu’il se construit toujours dans la distance (particularité dont ses petits rejetons – de Sailor et Lula à Tueurs-nés en passant par True Romance, qui reprend presque littéralement la musique de La Balade sauvage – s’émanciperont pour proclamer un style kitch-hémoglobine). Le recul qu’il prend vis-à-vis de la violence passe essentiellement par le personnage incarné par Sissy Spacek (qui se trouve alors à l’orée d’une période de grands rôles : Carrie, Three Women, etc.), dont l’impassibilité désamorce toujours immédiatement l’agitation de Martin Sheen. On se trouve avec La Balade sauvage devant le portrait d’une jeunesse qui, malgré les cadavres qu’elle laisse sur son chemin, se démarque par sa grande innocence. La mort n’intervient jamais comme un drame mais comme une étape, un relais sur la route de Holly et Kit. Pas de drame, pas de coupable. La singularité de la démarche malickienne est de faire de ce fait-divers une ode à l’innocence plutôt qu’un trip sulfureux (comme s’attacheront à le faire David Lynch, Oliver Stone et Tony Scott), de dépasser l’anecdote, la chronique de départ pour dépeindre un état de fait plus global : la jeunesse, la liberté.
En résulte un film mat et flegmatique, auquel on peut toutefois reprocher de faire tendre la sobriété de son style vers une certaine banalité. Cet équilibre incertain entre la fine mise à distance du propos et le peu d’innovation du style rejoint le débat qui s’est construit autour de l’œuvre de Malick, entre génie et imposteur, et ce jusqu’à son dernier né The Tree of Life, qui alterne moments intimes prodigieux et envolées cosmiques grotesques. On touche là ce qui constitue peut-être la signature d’un réalisateur qui, même à travers cette inégalité qui lui est propre, prouve qu’il est un auteur.