Alors que Knock Knock a bénéficié d’une sortie salle (la présence de Keanu Reeves au générique a sans doute tranquillisé les distributeurs), The Green Inferno ne sera visible qu’en e-Cinéma, une absurdité quand on voit le spectacle baroque auquel on est convié. Sans abandonner le torture porn qui a fait son succès, Eli Roth enfonce le clou de la satire dans cette revisitation de Cannibal Holocaust, qui n’a pas à rougir de la comparaison.
Survivre pour mieux mourir
Sur le campus d’une université américaine, Justine (Lorenza Izzo), fille d’un fonctionnaire de l’ONU, cherche sa voie. Alors qu’elle tombe sous le charme d’Alejandro (Ariel Levy), un étudiant activiste, elle se retrouve embarquée dans une mission visant à faire reconnaître une tribu d’Amazonie menacée d’expropriation. Après un happening musclé ligotés à des troncs d’arbre aux confins du Pérou, les jeunes militants prennent le chemin du retour mais leur avion subit une avarie et s’écrase dans la jungle. Si les survivants du crash pensent avoir eu de la chance de sauver leur peau, leur confrontation avec la tribu locale va rapidement les faire déchanter.
Au cœur des ténèbres
En transformant les documentaristes initiaux caméra à la main en activistes convaincus de la puissance de l’image de leur smartphone (montrer pour dénoncer dans les deux cas, mais la démocratisation des moyens techniques est passée par là), Eli Roth modernise le parti-pris de Ruggero Deodato, le réalisateur de Cannibal Holocaust, sans renier pour autant la charge féroce que l’Italien avait insufflée à son œuvre en son temps. La critique acerbe de l’activisme aveugle qui se dessine dans The Green Inferno n’a d’égal que la violence qui sourd des séquences dans le village. Réduits à des corps consommables, les étudiants, qui dans leur biotope ne sont souvent que des consommateurs passifs (de biens ou d’idéologies), sont entreposés dans une cage comme du bétail, décimés au fur et à mesure de l’appétit des autochtones.
Ce huis clos obligé, outre qu’il pousse les personnages à interroger leurs convictions et à reconnaître leur méconnaissance de la réalité du terrain amazonien, offre surtout au réalisateur l’occasion de placer ses pions face au terrible destin qui les attend : chaque victime est en effet mise à mort (et dévorée) au vu et au su de ses camarades. Cette mise en abyme morbide du voyeurisme forcé des personnages et de celui consentant des spectateurs crée le malaise que Cannibal Holocaust était parvenu à causer il y a plus de trente ans. Bien que la proposition de Roth n’atteigne pas le floutage terrifiant du réel et de la fiction au cœur du film de Deodato, The Green Inferno n’en génère pas moins une stupéfaction horrifique des plus réjouissantes, due aussi bien aux exactions commises (le gore) qu’à la réification latente de l’humain. En se permettant même des pointes d’humour (la drogue comme échappatoire), le cinéaste parvient à un équilibre que ses précédents films peinaient à atteindre. Sauvage et brutal tout autant que sarcastique et profondément subversif (le témoignage final de Justine est un coup de génie), cet enfer vert orchestre la guerre des civilisés contre les sauvages. Malgré ce manichéisme apparent, la dichotomie n’est pas forcément là où on l’attend.