Il y a environ un an, Halloween Ends, le dernier volet de la trilogie de David Gordon Green, disait adieu à la figure du tueur masqué en broyant littéralement la carcasse de Michael Myers. Avec la destruction physique du monstre d’Haddonfield, célébrée à la manière d’une fête païenne, c’était aussi quelque part le slasher, genre-roi de l’horreur des années 1980, qui acceptait enfin de sombrer après trois, voire quatre décennies épuisantes de reboots et de parodies en tous genres (de Scream Queens à American Horror Story).
Presque éteint, le genre tente pourtant de renaître de ses cendres avec Thanksgiving, qui marque plutôt la concrétisation d’un vieux projet traînant depuis longtemps dans les tiroirs d’Eli Roth. Une fausse bande-annonce réalisée il y a une quinzaine d’années et projetée en amont du diptyque Grindhouse (composé de Boulevard de la mort et Planète Terreur) l’annonçait déjà, mais beaucoup d’eau a depuis coulé sous les ponts et Roth, spécialisé entre-temps dans les remakes (Cannibal Holocaust, Death Game et Death Wish) avait provisoirement abandonné le projet. Thanksgiving voudrait donc nous ramener à l’époque des débuts prometteurs du cinéaste. On sent en effet que le film tente de remettre au goût du jour l’esprit vaguement « politique » de Hostel : la consommation des corps trouve même ici une forme littérale, couplée à une esthétique néo-Grindhouse destinée à « faire genre ». Pour Roth, « faire genre » implique de privilégier des décors franchement moches, voire hideux (presque toutes les scènes d’intérieur donnent l’impression d’avoir été tournées dans un garage) et de se reposer sur des acteurs de seconde zone (dont Patrick Dempsey) pour les inviter à un grand festin horrifique (une table de Thanksgiving) où ils jouiront de divers plaisirs : décapitation, dépeçage et cuisson filmée depuis l’intérieur d’un four.
Viande froide
Si le film pourra éventuellement séduire les amateurs de gore, il n’a presque rien à apporter au genre dans lequel il s’inscrit, dont il perpétue les règles avec une paresse frôlant la désaffection. En somme, tous les personnages du film sont destinés à tomber sous la lame d’un tueur arborant le masque de John Carver, l’un des pères fondateurs de la nation américaine. Voilà pour la référence historique et politique, que Roth transpose dans notre société de consommation pour châtier les consommateurs, comme il l’avait fait, sous une forme autrement plus originale et percutante, dans Hostel. Au sein de ce film dénué de toute singularité, une séquence se détache pourtant : à quelques heures d’un Black Friday très attendu, les principaux personnages se retrouvent, devant les portes d’un grand magasin, au cœur d’une émeute dont les conséquences atroces ne font qu’exacerber le déroulement d’une journée de soldes ordinaire. Dans cette veine satirique très tributaire de Romero (celui de Zombie), Roth retrouve un peu de souffle en quelques plans secs et frappants, figurant un vigile piétiné par la foule, ou encore les cheveux d’une femme pris dans le mouvement impitoyable d’un chariot, jusqu’à ce qu’elle soit scalpée.
C’est pourtant trop peu pour redonner de l’envergure à ce vieux projet de jeunesse oublié, trop peu aussi pour sortir le slasher de sa tombe. Mais est-ce vraiment l’ambition de Roth ? Un dialogue anecdotique à propos de Black Sabbath résume assez bien la position du réalisateur : un personnage se demande ce qu’il reste du groupe après le départ d’Ozzy Osbourne en 1979. « Pas grand-chose », répond-il dans un premier temps, avant d’admettre que l’album Heaven and Hell n’est peut-être pas si mal. Voilà l’endroit d’où filme aujourd’hui Roth : après l’épuisement des légendes du genre (Myers, Freddy, Jason) et la quasi disparition des figures fondatrices (Carpenter et la vague des années 1970), il demeure peut-être encore une place, pour un cinéma d’horreur créatif et politiquement engagé. On ne peut qu’acquiescer à cette idée, tout en reconnaissant que ce n’est pas dans Thanksgiving qu’elle s’incarne.