Précédé d’une critique presse houleuse outre-Atlantique, Death Wish, remake d’Un justicier dans la ville (de Michael Winner avec Charles Bronson), film assez culte malgré la grossièreté de sa structure (le personnage principal y attirait les criminels comme des mouches, accumulation à la limite du risible, ou du condescendant, c’est selon), n’est pourtant pas à jeter en bloc. Cette nouvelle version s’inscrit dans la longue tradition du vigilante movie, du justicier sans-foi-ni-loi et adepte du do-it-yourself, genre auquel Clint Eastwood proposa une mélancolique introspection dans Gran Torino. Death Wish a toutefois connu un processus de production houleux, affecté par une valse de réalisateurs et de stars, ainsi que d’un remaniement complet de la première mouture du scénario.
Violence-spectacle
Paul (Bruce Willis), chirurgien à succès et père de famille aimant, voit sa vie basculer le jour où sa femme et sa fille sont agressées dans leur domicile, suite à un cambriolage ayant mal tourné. Irrité par les défaillances des services de police, il décide de mener sa propre vendetta contre la criminalité de rue. C’est donc sur un postulat d’impuissance et un discours alarmiste sur la hausse du crime, similaire à la version Winner, que démarre Death Wish. Pourtant, de cette vendetta politisée (le film appuie les préceptes de la loi du talion et multiplie les incursions sur les armes à feu au travers de spots publicitaires) et radicale (Paul ne distingue aucune criminalité et élimine tout le monde sur son passage), Eli Roth tire un film d’action au carré : une représentation distanciée du genre et du justicier diluée dans les rouages même du scénario.
Si le choix de Bruce Willis est plutôt amusant (délaissant les acquis iconiques de la star, notamment sa figure de solide héros américain, le film entame une refonte de la légende en faisant de Paul un maladroit dans l’usage de la violence, à l’encontre de toute attente), la meilleure idée réside finalement dans la mise en place d’un jeu de miroir réfléchissant. Cette thématique, Eli Roth l’explore depuis au moins ses deux derniers films, traversés par le même principe d’image dissuasive : le brave père de famille filmé en plein adultère et otage de la vidéo prouvant son infidélité (Knock Knock), les étudiants activistes brandissant leur smartphone et filmant la déforestation amazonienne (Green Inferno). Dans Death Wish, le réalisateur associe à chaque acte vengeur le reflet qu’il génère, confrontant ainsi le héros à sa propre image par une suite de choix visuels discrets (parfois son reflet dans le téléviseur, ou parfois des enfants dans la rue mimant ses exploits).
Une séquence résume ces intentions, celle du premier exploit de Paul filmé et diffusé sur internet par un témoin. Grâce à cette diffusion, le personnage a ainsi l’occasion de se revoir en action. Ce choix, a priori anodin, détourne avec beaucoup d’astuce une séquence analogue du film original : Michael Winner enclenchait en effet l’engrenage vengeur au détour d’un spectacle-catalyseur auquel assistait un Paul/Bronson subjugué, reconstitution d’un règlement de compte en plein Far West. La scène est similaire dans Death Wish, à ceci près que Paul/Willis regarde le spectacle de sa propre violence, grâce au miroir digital.
Dualité
L’autre bonne idée de cette version a été de faire de Paul un chirurgien : outre la dualité entre sa profession salvatrice et son passe-temps macabre, c’est bien la minutie du praticien qui intéresse prioritairement la mise en scène. Lors d’une séquence en split-screen, le montage associe ainsi les deux occupations de Paul : d’un côté, son travail de chirurgien, manipulant soigneusement ses outils durant une opération, de l’autre, la préparation toute aussi minutieuse de l’arme à feu. Ces trouvailles, sans être géniales, ont le mérite de compenser une direction d’acteur un peu défaillante (et surtout un Bruce Willis toujours aussi peu convaincant en victime fragile, si l’on excepte ses incursions chez Gilliam et Shyamalan). Elles instaurent surtout un débat interne relativement modeste sur le difficile équilibre entre droit, éthique et morale. Paul ne tergiverse pas, il agit bille en tête, et Eli Roth, s’adaptant à son sujet, change aussi son habituel rapport à la violence : s’amusant en général à prolonger le sadisme, selon le principe du torture porn qui a pimenté son œuvre, la violence est ici au contraire fulgurante, telle une sentence expéditive déjà-abattue et déjà accomplie.
La réalisation d’Eli Roth, pourtant généralement prompt à tous les excès, ose ainsi créer une timide dissension avec le scénario, par sa manière de ramener le film à sa condition générique au travers de ce jeu de réverbération. Ce remake s’avère donc avant tout affaire de représentation, c’est-à-dire la figuration dédoublée de l’image initiale, et bouclant la boucle, il se termine de la même manière que l’original, par Paul mimant un revolver avec sa main — geste dissuasif repris tel quel par Clint Eastwood dans Gran Torino. Si chacun pourra juger acceptable, ou non, les grosses ficelles narratives (l’un des suspects atterrit miraculeusement dans le service hospitalier de Paul) et ce récit de vengeance, le processus de remake a au moins le mérite d’être incarné par la vision affirmée de son cinéaste. C’est déjà bien assez.