Un an après la mort de Robert Altman, le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre est peut-être de rendre visibles ses films les plus emblématiques. Opening sort conjointement deux films qui se suivent dans sa filmographie, Trois femmes et Un mariage, tous deux précédemment inédits en DVD en France.
Tournés à un an d’intervalle, Trois femmes et Un mariage sortent conjointement au sein d’un même coffret chez Opening. Le fait que ces deux films se suivent chronologiquement dans la filmographie de Altman pourrait suffire à légitimer ce choix éditorial (Trois femmes a été présenté à Cannes en 1977, où Shelley Duvall a reçu le prix d’interprétation, et Un mariage est sorti l’année suivante). Ce double DVD a toutefois un autre intérêt : celui de proposer deux aspects représentatifs de l’œuvre du cinéaste, à travers deux films très éloignés dans leurs thématiques.
Trois femmes est un film onirique et troublant, plutôt silencieux, avec une musique obsédante, où Altman s’attarde à filmer le désert californien, et qui propose des portraits de femme : celui de Pinky (Sissy Spacek), jeune texane qui débarque en Californie, où elle fait la connaissance de Millie (Shelley Duvall), chez qui elle va emménager. Une troisième femme, Millie, leur propriétaire, une peintre qui dessine des fresques monumentales dans le fond des piscines, fait le lien entre elles.
À l’inverse, Un mariage est un film qui compte un très grand nombre de personnages : pas moins de quarante-huit (soit très exactement deux fois plus que dans Nashville). Point de désert ici : passé la scène d’ouverture à l’église, où est célébré le fameux mariage, le film se situe dans un cadre unique, celui de la grande demeure située dans l’Illinois de la famille Sloan Corelli. Le point de départ du film se situe précisément au moment où, alors que mariés et invités envahissent la maison, la grand-mère (interprétée par Lillian Gish) décède dans son lit. Dès lors, Altman va se livrer à une étude de caractères, qui va révéler les secrets de cette famille.
Avec Un mariage, Altman livre un film chorale à l’humour grinçant, genre dans lequel il livrera paradoxalement ses meilleurs films (Short Cuts) comme ses moins réussis (Prêt-à-Porter). On retrouvera ce côté théâtral (notamment dû à un décor unique) dans une de ses dernières œuvres, Gosford Park.
Trois femmes et Un mariage étaient jusqu’à présent inédits en DVD en France, et n’étaient disponibles aux États-Unis que depuis peu de temps. Hélas, le master utilisé pour Trois femmes n’a pas bénéficié du même soin que celui qui a servi pour l’élaboration du DVD US paru chez Criterion voilà bientôt trois ans. La copie proposée dans l’édition française est en effet de qualité très médiocre et manque cruellement de définition. De plus, le commentaire audio enregistré par Altman n’a pas été repris ici. En revanche, comme sur le disque consacré à Un mariage, on trouve dans les suppléments une présentation du film par Michel Ciment, spécialement enregistrée pour l’occasion. Dans ses deux interventions, Ciment explique en quoi ces deux films d’Altman se complètent, et forment l’aboutissement de toutes ses recherches des années 70. D’un côté, Trois femmes, film onirique et œuvre majeure, où Altman se fait le peintre des gouffres du psychisme. De l’autre, Un mariage, peinture au vitriol de la grande bourgeoisie (dont il est issu). Désert, vide et silence pour le premier, trop-plein pour le second. Avec Trois femmes, Altman se fait psychologue, tandis qu’il se livre à une étude sociologique avec Un mariage.
Ultime supplément, une interview d’Altman réalisée quelques jours avant sa mort, où il revient sur les événements de sa vie qui ont déclenché les tournages de ces deux films. Trois femmes sort tout droit d’un de ses rêves, où il se voyait en train de filmer le désert. C’est à partir de cette idée qu’il va inventer une histoire se déroulant dans le décor vu en rêve. Il va laisser l’actrice Shelley Duvall développer elle-même son personnage (elle participera à l’écriture de ses monologues, ou des passages lus de son journal intime). L’idée d’Un mariage vient quant à elle d’une mauvaise blague qu’un Altman bougon raconte à une journaliste venue l’interviewer alors qu’il est en train de lutter avec une gueule de bois lors d’une journée caniculaire sur le tournage de Trois femmes. À la question de savoir quel sera le sujet de son prochain film, Altman répond qu’on l’a engagé pour filmer un mariage. Surprise, puis colère de la journaliste, qui déserte les lieux, consciente que le réalisateur se paye sa tête. Puis Altman y repense, et se trouve séduit par cette idée, et ainsi est né dans sa tête ce qui deviendra Un mariage.
Enregistrée le 6 novembre 2006, cette interview prend aujourd’hui une importance toute particulière, quand on sait que c’est la dernière qu’Altman donna avant sa mort, survenue quelques jours plus tard, le 20 novembre, alors qu’il était âgé de 81 ans, et qu’allait sortir son ultime film sur les écrans français, le bien nommé The Last Show.