« Il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre », dit le proverbe. En livrant ce mariage de la carpe et du lapin en pâture à la troupe débridée de ses (très bons) acteurs, Altman illustre à sa façon la sagesse populaire : à l’heure où la joie et le bonheur sont de circonstance, son cinéma volontiers sarcastique dévoile tous les mensonges et les dénis d’une union qui n’est que de circonstance. Dans l’ordre du visuel qui est le sien, le déni consiste à ne pas voir ce qui est exposé en pleine lumière : l’évêque pris en plein flagrant délit de gâtisme, le baiser que les époux échangent chacun avec son ancien flirt devant la foule des convives, l’épouse trompée qui feint de ne pas voir que son mari en étreint une autre devant elle, et bien sûr la mort de l’aïeule, passée sous silence à l’instant où arrivent les premiers convives. Un mariage, on pouvait s’y attendre, détruit avec joie l’institution du mariage et dénonce les petits arrangements des vivants avec les vérités qu’ils ne veulent pas voir. Mais cette comédie de mœurs sur la riche Amérique WASP des années Carter, d’une ironie souvent à gros sabots, se soucie peu de faire œuvre édifiante : point de dévoilement dans ce cinéma qui ne prétend à aucune morale et ne se s’embarrasse pas de psychologie. Un mariage a tous les ressorts d’une comédie rutilante, ni douce ni gentille, mais où le parti-pris d’en rire règne sans partage, frôlant sans jamais s’y complaire la caricature, le mélodrame ou la satire. Un mariage est tout cela mais parvient aussi à être un peu plus que tout cela…
Pink romance
Apogée du genre (le « film choral ») auquel le nom du cinéaste est attaché jusqu’au cliché, Un mariage dépasse en effet la vision purement satirique d’une société américaine bourgeoise et stupide ; Altman est féroce envers la haute-société décadente et les nouveaux riches vulgaires, qu’il croque avec gourmandise, mais il se soucie bien plus de divertir que de dénoncer l’hypocrisie des puissants et la bassesse des parvenus. Altman s’amuse, dans Un mariage, des travers et des vices de chacun, et ne cherche pas à en dévoiler la force mauvaise et la violence sourde, à la différence de Gosford Park, un autre « film-monde » qu’il réalisera vingt-cinq ans plus tard, mélo poignant et portrait d’une société qui n’est jamais aussi cruelle et injuste que dans sa chute. Certes la mort est partout présente en ce jardin, depuis le dernier soupir de la plus vieille star de cinéma de l’époque jusqu’au quiproquo final, à la fois hilarant et glaçant ; pourtant cette fête n’est pas le jeu de massacres chez les nantis de La Règle du jeu : si Renoir est sollicité dans une scène de rencontre amoureuse abritée par une serre attenante au manoir, c’est pour ridiculiser la romance, non pour dénoncer un théâtre de dupes dont les codes et les enjeux sont dépassés depuis longtemps.
À quarante ans de distance, Un mariage vaut aussi le coup d’œil pour la fusion, exemplairement réussie, entre la culture populaire par excellence de l’Amérique des seventies – la télévision – et les impératifs narratifs du long-métrage de cinéma : les grands noms des soaps et des séries policières américaines (Carol Burnett, Howard Duff, Desi Arnaz Jr, Dina Merrill) se mélangent sans heurt avec quelques stars du cinéma d’auteur du moment (Vittorio Gassman, Mia Farrow ou encore Geraldine Chaplin au sommet de sa carrière). Comme souvent dans les films d’Altman, point de « premier rôle » dans Un mariage, pas plus pour l’acteur auréolé du succès de Parfum de femme que pour la star qui tourna dans les chefs d’œuvre du cinéma muet, Lillian Gish : l’égalité de rang confine presque à l’égalité de rôle, ou comme le dit une des invitées fantasques de ce mariage : « the last will be first ».
The party
Derrière le scénario convenu de la « party » qui dégénère, la mise en scène sophistiquée et une écriture qui fait la part belle au sketch transforment l’exercice de style en un joyeux bazar. Tous les acteurs (ils sont 48, soit le double du casting de Nashville) trouvent leur place avec un naturel très attachant. Pour ce faire, Altman retient le meilleur du savoir-faire de chacun d’eux (les comédiens contribuèrent à l’écriture de leurs propres scènes, selon la recette éprouvée auparavant dans Nashville) et évite les ornières de la « comédie grinçante » en laissant s’épanouir les individus dans des situations dont ni lui ni ses personnages ne semblent vraiment connaître l’issue.
Un mariage clôt une décennie de succès pour son auteur, même si le film n’a pas marqué les esprits à l’égal de M.A.S.H., Nashville ou Le Privé. Et on pardonnera à ce long-métrage une certaine langueur en fin de parcours, car il mérite d’être revu pour l’exceptionnelle aisance d’une réalisation où des dialogues en hors-champ mordent sur les séquences sans jamais les brouiller, où la sacralité d’une cérémonie de mariage aboutit à un défilé dans une salle de bains et où la gravité de la mort est oubliée, le temps d’un jour de fête.