Depuis L’Arme fatale, comme scénariste, puis avec son passage derrière la caméra avec Kiss Kiss Bang Bang, on le sait : Shane Black maîtrise la recette du buddy movie à la perfection. Il connaît tous les trucs et astuces pour mettre en place un duo attachant de protagonistes aux caractères contraires lancés dans une aventure improbable. La narration est assez tortueuse pour tenir la route sur deux heures de rang, sans que la résolution importe véritablement, avec un sens consommé de ce qui fait divertissement.
Cinéphile revendiqué, Shane Black multiplie dans The Nice Guys les références aux classiques du film noir. Le Privé de Robert Altman, En quatrième vitesse de Robert Aldrich, Chinatown de Roman Polanski… Mais ce qui fascine justement chez ce réalisateur, c’est l’impression de facilité free jazz qui se dégage de sa mise en scène, jamais plombée par l’héritage dont il se réclame, jamais engluée dans une mélancolie surannée. Au cœur de chaque séquence, il y a une trouvaille burlesque, une information dissimulée à l’arrière-plan, un petit pas de côté qui empêche la sensation de déjà-vu. Toute la puissance comique de The Nice Guys se situe dans cette recherche permanente du décalage. Un tel parti-pris — ludique et joyeux sur le fond comme sur la forme — est jouissif pour le spectateur qui se trouve sans cesse sollicité par un film mené tambour battant.
Puissance et naïveté
Une quête effrénée du cool aurait pu donner — à la longue — la sensation d’une grande vacuité. C’est le piège dans lequel sont plus ou moins tombés les récents et relativement voisins Gangster Squad, par trop de premier degré, ou American Bluff, par trop de maniérisme et de postiches improbables. The Nice Guys évite cet écueil en se voulant plus qu’un simple hommage aux années 1970.
Car si l’intrigue n’a qu’une importance secondaire, Shane Black produit tout de même un discours. The Nice Guys raconte comment un assemblage hétéroclite de représentants de l’État corrompus et de gangsters sans foi ni loi font tout pour détruire les copies d’un long-métrage sulfureux. Sous couvert de scènes pornographiques, celui-ci dénonce en effet un système de corruption au plus haut niveau de l’État. La paire formée par Russell Crowe et Ryan Gosling, apolitiques au départ, un peu revenus de tout, en vient en cours de route à reprendre à leur compte la cause de rebelles anticapitalistes exaltés, à sauver comme s’il s’agissait d’un trésor précieux la dernière bobine existante du film menacé, et à permettre sa diffusion au grand jour, intercalé dans un autre film, publicitaire celui-là.
Ode au cinéma décrit comme un art populaire mais néanmoins majeur, mise en abyme d’un processus créatif nécessairement hybride où le sens de l’esquive fait partie du jeu pour contrer les diktats du marché, The Nice Guys reprend au bout du compte les mêmes attributs que ce long-métrage sexo-militant. L’emballage est clinquant (bande originale superbe, panoramiques classieux…), mais le fond est plus dense qu’il n’y paraît, défendant en creux la liberté de création et dressant un bel éloge de l’impureté. Dans le rôle d’un père aimant mais pleutre face à la douleur, de détective aussi vénal qu’intuitif, Ryan Gosling résume à lui seul les ambiguïtés volontaires de The Nice Guys. À l’aise dans la déconstruction — contrôlée — de son image de beau gosse lisse, il enchaîne avec un plaisir communicatif les cris suraigus et les sourires charmeurs. Lointain hommage à une scène culte de L’Arme fatale 2, le duel étiré dans les toilettes entre lui et Russell Crowe a ainsi tout pour devenir un classique et marquer sa filmographie.