Exit « Happy » Jon Favreau : si la saga d’Iron Man a transfiguré le réalisateur de Zathura, son travail plutôt impersonnel sur Cowboys & Envahisseurs montre que c’est avant tout l’univers de Tony Stark qui a beaucoup aidé. Pour Shane Black, en revanche, nul besoin de faire ses preuves (l’homme est au scénario du Dernier Samaritain, ou de L’Arme fatale, et derrière la caméra pour le très malin Kiss Kiss Bang Bang). Tony Stark et Shane Black : une rencontre qui promettait fort, et qui tient ses promesses.
Tony Stark ne boit plus : les caciques de Disney refusent de voir le héros un verre à la main. Il faut donc à notre héros une nouvelle source de tourments : le voilà plongé dans la dépression cosmique, suite à ses aventures dans Avengers. Les considérations politiques dont peinait à se dépêtrer le second volet sont oubliées : aujourd’hui, tout est affaire de revanche, une « good old-fashioned revenge ». Tony Stark a trouvé ses marques : il est aujourd’hui légitime aux yeux du peuple, dans une relation stable avec Pepper Potts – il s’en faudrait de peu qu’il devienne chiant. Heureusement, les événements lui offrent la possibilité de retrouver un ennemi, et la première phrase du film résume d’ailleurs cet aspect : « on crée ses propres démons », se dit le milliardaire à lui-même, comme pour s’avouer qu’il a besoin d’une Némésis pour exister.
C’est une façon maligne de recentrer le discours sur Stark lui-même, qui a, tout de même, sauvé la Terre dans Avengers – également, un tour de passe-passe narratif un rien malhonnête au premier abord. Fort heureusement, le méchant de service, un clone de Ben Laden surnommé Le Mandarin, se révèle à la hauteur : vite, l’affrontement hautement pyrotechnique se résume à la rivalité entre deux hommes… C’est sans doute tout le talent de Shane Black qui permet de se focaliser sur cette histoire, plutôt que de s’interroger sur les implications colossales des événements dépeints dans Avengers à l’échelle de l’humanité (les extra-terrestres existent, ils ne sont pas bienveillants, ils sont plus forts que nous et ils nous en veulent).
Mais nous ne sommes pas là pour ce genre de film, Tony Stark constituant en effet à lui seul un cahier des charges. Arrogant, hautain, alcoolique (mais ne le dites pas à Disney), égotiste et égoïste, Stark doit autant au cabotinage constant de Robert Downey Jr qu’à son statut d’anti-héros sympathique, une sorte de Batman génial, enthousiaste, irresponsable et incapable d’empathie. Pourtant, la franchise approche, avec Iron Man 3, les zones d’ombre du bouffon Tony Stark : l’invincible Icare mécanique a fini par s’approcher trop près du soleil (le sien étant en forme de trou de ver cosmique, tout de même…), et la chute en est d’autant plus dure. Et le voilà avec les ailes brûlées : reconquérir son statut semi-divin signifiera le mériter à ses propres yeux (l’adoration du bas peuple lui étant déjà acquise). Notre bon Tony Stark, pourtant toujours prompt à la vantardise, doit apprendre à s’accepter.
Le chemin dessiné par Shane Black pour son personnage est une mécanique bien huilée, où s’emboîtent avec précision rebondissements totalement inattendus, révélations un peu plus prévisibles et clins d’œil hilarants aux figures imposées du genre. Pourtant, un peu comme apparaît artificiel le recentrage sur Tony Stark après les enjeux globaux monstrueux d’Avengers, la conclusion du film laisse songeur : Shane Black aurait sans doute préféré imposer un traitement plus définitif à son Tony Stark, mais la franchise doit continuer… Pétaradant, passionnant de bout en bout, riche en surprises, Iron Man 3 représente sans doute ce que la rencontre entre les impératifs commerciaux des studios et la vision d’un auteur intelligent peut donner de meilleur : on perçoit la cage artistique, ça ne nous empêche pas d’apprécier l’oiseau – mécanique – qui y est enfermé.