Les images de This Must Be the Place qui circulaient quelques mois avant sa sortie avaient de quoi intriguer. On y voyait un Sean Penn presque méconnaissable, arborant la crinière ébouriffée, le maquillage et la moue boudeuse de Robert Smith. Performance d’acteur périlleuse en perspective. À la vision du film, il s’avère finalement que c’est bien pire que cela : Paolo Sorrentino livre un objet accablant, qui essaye si fort d’être de l’art qu’il en oublie les rudiments de la réalisation filmique.
Rarement un film aura en effet été aussi peu à la hauteur de ses ambitions. Le réalisateur prend indéniablement des risques, noyant tout effet de réel dans une mise en scène lourdement stylisée et proposant au spectateur un récit fuyant, plein de digressions. Conformément à cette attitude, l’histoire que l’on nous raconte se révèle petit à petit. Ce qui nous est d’abord donné, c’est la vie quotidienne de Cheyenne, une ex-pop star neurasthénique, une vie faite de répliques « malines » et de moments « décalés » : un jeu de pelote dans une piscine vide, la combustion spontanée d’une voiture, une rencontre fortuite avec l’inventeur de la valise à roulettes… On sent bien les intentions du réalisateur – amuser, étonner, peut-être même inspirer au spectateur des pensées profondes sur l’aspect énigmatique de l’existence – mais pour des raisons sur lesquelles il est difficile de mettre le doigt d’emblée, force est de constater que ça ne fonctionne pas.
Parallèlement, la réalisation de Sorrentino se pare d’une panoplie estampillée « cinéma arty ». Elle crâne avec des plans très composés, ostensiblement longs et des mouvements de caméra tape-à-l’œil. De même, en termes de direction d’acteurs, Sorrentino refuse tout naturalisme ; il demande à Sean Penn de s’exprimer d’une voix fluette et tremblotante et de se mouvoir avec la lenteur et la raideur d’un automate. Que l’on soit client ou pas de ce genre d’esthétique, assez clinquante et portée sur le grotesque, il est indéniable que l’on en a eu l’occasion d’en trouver de bien meilleures manifestations dans le travail d’autres cinéastes. Sans même parler de tout ce qu’il peut avoir de déplaisant par ailleurs, le film souffre d’abord simplement d’un manque de savoir-faire et de talent dans le maniement de sa matière. Le montage paresseux et maladroit est ainsi pour beaucoup dans l’annulation des effets comiques recherchés.
Un autre problème majeur qui se dégage de This Must Be the Place est la façon superficielle dont il aborde ses choix stylistiques. Sorrentino semble confondre, par exemple, la fragmentation et la dispersion narratives, qui peuvent avoir une réelle portée, psychologique, esthétique ou philosophique, avec une pure et simple inconsistance. Comme s’il n’avait pas compris le sens de sa propre écriture cinématographique. La vision du monde qu’elle semble vouloir communiquer – sans y parvenir –, va même jusqu’à être contredite par l’histoire que le film finit par nous raconter. Le regard porté sur le personnage principal est en effet d’un simplisme et d’un conformisme dignes d’un mauvais Walt Disney : si Cheyenne a un comportement étrange c’est parce qu’il est dépressif. S’il est dépressif, c’est parce qu’un jour, ses pop-songs stupides ont poussé deux adolescents au suicide. Pour sortir de son apathie, il retourne à ses racines américaines et poursuit l’entreprise vengeresse entamée par son père. Après, il se sent mieux et abandonne donc son look gothique adolescent.
On dirait que Sorrentino essaye de voir le monde du point de vue d’un personnage marginal, sans se rendre compte qu’il en est en fait incapable, trop occupé qu’il est à se gargariser de lui-même. Ainsi, au fur et à mesure de son déroulement, This Must Be the Place ne fait que confirmer le sentiment qu’il inspire dès ses premières minutes : il n’est rien de plus qu’une coquille vide, un objet mal dégrossi sans âme ni cerveau, qui atteint des degrés de vanité improbables.