Mystère ou escroquerie ? La question est posée dans le dernier mouvement du film par Parthenope elle-même, une jeune Napolitaine dont la beauté provoque chez tous ceux qui croisent son chemin un ravissement proche de l’hypnose. Est-elle si mystérieuse ? Son charme n’est-il pas de la poudre aux yeux ? « Que penses-tu ? » lui demande-t-on souvent, pour essayer de voir ce qui se trame vraiment dans la tête de cette femme sublime, brillante et vive d’esprit. Il faut le noter, quand bien même la sincérité de la démarche est discutable : Sorrentino vient de réaliser un film moins centré sur un sujet ou une figure qu’un sentiment – une sorte de mélancolie indicible recouvrant chaque scène, même la plus légère, d’une écume de tristesse – qu’il entend explorer dans un récit au long cours. Au sein de panoramas paradisiaques, à Naples ou à Capri, les personnages traînent leur spleen et contemplent l’océan d’un œil brillant, comme pour retenir des larmes qui viendraient d’on ne sait où. Les films de Sorrentino ont toujours cherché à distiller, sous leur vulgarité, un parfum fellinien et romanesque : chez lui, le clinquant cohabite avec une supposée beauté ancestrale, comme arrachée aux ruines, que son style essaie de raviver.
Il y a peut-être une scène, la toute dernière (elle accompagne le générique), où Sorrentino arrive réellement à donner chair à cette ambition. On y voit Stefania Sandrelli, qui joue Parthenope à l’âge de la retraite, regarder la parade des supporters du Napoli fêtant le scudetto de 2023. La procession a beau être profane et dépouillée du lustre mythologique dans lequel baigne le film (qui s’ouvre avec un carrosse transporté depuis Versailles et des vestiges antiques), le visage de l’actrice, illuminé des couleurs émises par le cortège, s’émeut comme si elle voyait s’incarner sous ses yeux l’âme de la ville. Car Parthenope, ce n’est pas seulement une jeune femme au physique sculptural que la caméra de Sorrentino déshabille complaisamment, mais Naples elle-même. Selon les légendes, ce sont sur les rivages de la cité que la sirène de L’Odyssée se serait échouée. Drôle d’aveu en creux : conscient de la duplicité de Parthenope et de ses sœurs, Ulysse s’était bouché les oreilles avec de la cire pour rester sourd à leur appel. Sorrentino lui, pendant plus de deux heures, essaie de faire retentir cette même mélopée trompeuse, et avec elle une injonction à ressentir une mélancolie dont l’artificialité ne laisse pas dupe. À coups d’aphorismes et de tirades pompeuses (pauvre Gary Oldman, qui cabotine en John Cheever), le film, certes moins racoleur que La Grande Bellezza ou Youth, tente tant bien que mal de maquiller sa boursouflure en élégie. Pas besoin toutefois d’être ligoté à un mât pour être en mesure de résister au chant de cette sirène-ci.