Malgré des effets vieillissants (qui rappellent les Atari et autres Commodore), Tron reste l’un des tout premiers films à utiliser le monde virtuel comme univers narratif. Suite de ce film culte sorti en 1982, Tron l’héritage se veut l’événement de ce début d’année. Bardé d’effets spéciaux, tridimensionnel, orchestré par le groupe Daft Punk, le premier film de Joseph Kosinski accumule la hype, la tendance et le design. Mais l’emballage est-il à la hauteur des réflexions initiées dans les années 1980 ou remplit-il seulement l’espace laissé vacant par un scénario téléphoné ?
Devenu un magnat de l’informatique et des jeux vidéo, Kevin Flynn (Jeff Bridges) disparaît un beau matin, laissant son fils Sam (Garrett Hedlund), orphelin. Le jeune garçon grandit, seul héritier de l’empire paternel sans véritablement s’impliquer dans son développement. Lorsque le meilleur ami de son père lui annonce qu’il a reçu un message de celui-ci, Sam retourne au Flynn’s (lieu séminal du premier opus). Un geste malheureux le propulse alors dans une autre dimension. Entre courses de bolides et combats de disques lumineux, Sam rencontre le maître d’œuvre de ce monde, Clu 2.0 (qui a les traits de Kevin Flynn jeune) et avec l’aide d’une dissidente nommée Quorra (Olivia Wilde), il retrouve son père. Leur objectif va alors se résumer à détecter une brèche dans le système pour revenir dans le monde réel.
En presque trente ans, notre rapport aux ordinateurs a considérablement évolué. L’époque où les jeux se résumaient à des figures géométriques minimalistes (Pong, Pac-Man), dont Tron s’inspirait, est révolue. Le réalisateur de Tron 2 l’a bien compris. « Updatant » les moments forts de l’original grâce aux images de synthèse, le fantasme visuel du spectateur prend vie. La course de moto, poursuite relativement linéaire en 1982, se métamorphose en un spectacle ultra-lumineux dans un circuit à l’architecture devenue complexe. Les séquences de combats de disques ont eux aussi subi ce lifting synthétique. Ça brille, ça clignote, ça explose, mais surtout ça aveugle. Car au-delà des effets de manches pyrotechniques réalisés à coups de souris sur des fonds verts, Tron l’héritage manque de chair, de substance. Réflexivement pauvre, le film ne pose jamais les questions pourtant inhérentes à son statut. Pourquoi mettre en scène la virtualité d’un monde si c’est pour évacuer tout questionnement métaphysique sur le « programmeur informatique », sorte de Dieu vivant, sur le réel et le virtuel ou encore la créature cherchant à s’émanciper de son créateur (le mythe Frankenstein mais version intelligence artificielle). Kosinski n’a apparemment retenu de l’original que sa coquille visuelle ludique et n’a donc travaillé son cahier des charges que dans cet axe. Dommage donc.
Si l’efficacité spectaculaire de Tron 2 éclate lors des moments forts du film (scènes d’action), ce déversement lumineux et ultra-design ne s’arrête pas là, malheureusement. Deux fois dommage donc. Pas une seule seconde du film ne relâche la bride graphique. Tout a l’air d’avoir été tracé à la règle, mesuré au cordeau. Trop précis, poseur, le film paraît se contempler et oublier qu’esthétisme ne rime pas nécessairement avec cinématographie. La séquence des retrouvailles père/fils en est un exemple flagrant. Alors que les sentiments devraient irriguer la scène, tout y est froid et chirurgical, sis dans un décor new-age, contrasté en noirs et blancs (qui rappelle les grandes heures d’une fameuse décoratrice d’une petite chaîne qui monte). Lorsqu’on découvre Flynn (Jeff Bridges) en linge blanc, méditant en position du lotus dans un décor très loft futuriste de pacotille, on en vient à ricaner. Autre séquence marquée par la même outrance : la boîte de nuit. Le paquet a été mis sur le décor (sensiblement le même que précédemment avec ambiance bleutée cette fois) mais lorsqu’une rixe éclate dans la foule, la lisibilité de l’espace s’étiole. La mise en scène se révèle dans l’incapacité de situer ses héros spatialement, ni même de rendre cohérentes les différentes phases du combat. On y perd le fil et l’intérêt. Le public peut alors se contenter, comme dans un livre pour enfants de regarder les belles images. Mais on était en droit d’attendre plus (de fond) et mieux (côté réalisation) de cette suite.
Blockbuster stylisé mais sans âme, Tron l’héritage se déguste comme un clip géant, avec lunettes 3D et pop-corn. Pris au piège de sa propre technologie, le film ne parvient pas exister au-delà d’elle, un peu comme Flynn, prisonnier de sa création. Trois fois dommage donc.