En cette année pléthorique de blockbusters relatant la fin du monde sous différentes formes, Oblivion ouvre péniblement le bal. Calibré pour une ex-superstar de plus en plus à la traîne du box-office, le film de Joseph Kosinski (Tron, l’héritage) ne se ménage guère (effets spéciaux à la pelle, twists scénaristiques et message pseudo-écolo-politique) mais ne tient aucune de ses promesses.
Last Action Hero
Tom Cruise est un héros, un vrai, un patriote toujours prêt à triompher de l’ennemi et à sauver le monde (ou tout du moins, les États-Unis), et il tient à nous le rappeler régulièrement. Las, le public est passé depuis longtemps à d’autres icônes, et le succès inattendu du très bon Mission : Impossible – Protocole Fantôme il y a deux ans ne dupe personne : l’oncle Tom ne draine plus les foules. Son dernier vrai succès public remonte à 2005 et La Guerre des mondes de Spielberg ; depuis, de projets prestigieux qui font flop (Walkyrie, Lions et agneaux) en pop-corn movies que tout le monde a déjà oubliés (Night and Day, Jack Reacher), le scientologue-qui-ne-vieillit-jamais a perdu de sa superbe.
Rien de tel qu’une grosse production SF pour se remettre en selle, d’autant que celle-ci surfe sur la vague des apocalypse movies qui feront fureur cette année (outre Oblivion, une petite dizaine de films reprendront le même thème en 2013, d’After Earth à World War Z et Elysium en passant par les comédies This Is the End et The World’s End). Le concept, on ne peut plus banal, s’inspire d’une BD coécrite par le réalisateur lui-même : des aliens sanguinaires ont fait exploser la Lune avant d’envahir la Terre, causant tsunamis, tremblements de terre et autres joyeusetés qui ont définitivement détruit la planète, devenue inhabitable. Les humains ont gagné la guerre, mais doivent désormais vivre sur une base spatiale. Certains d’entre eux sont employés à entretenir des drones qui continuent de patrouiller sur notre bonne vieille Terre pour exterminer les quelques aliens survivants. Parmi ces mécaniciens du futur, Jack (Tom Cruise) entretient une nostalgie de plus en plus gênante pour sa mère-patrie. Sa coéquipière et compagne le voit d’un mauvais œil… surtout quand Jack ramène d’une de ses missions une mystérieuse jeune femme rescapée d’un non moins mystérieux crash de vaisseau. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Pourquoi Jack rêvait-il d’elle avant même de la rencontrer ?
Tom en son miroir
Beaucoup de questions, autant de réponses qui ouvrent d’autres pistes : avec son scénario à tiroirs, Oblivion joue la carte de la SF maligne. Mais Joseph Kosinski pèche par excès de servitude. À trop vouloir flatter l’ego de sa star, très préoccupée par son image d’éternel boy-scout, le réalisateur en oublie son film… Comment mettre en scène les doutes et les angoisses d’un vétéran amnésique qui prend progressivement conscience de l’horreur de sa condition lorsque le personnage en question est incarné par un comédien dont les exigences de diva demandent tout le contraire ? Tom Cruise, de presque tous les plans, incarne son héros torturé avec la subtilité d’un char d’assaut, ici soliloquant sur la grandeur passée d’un ultime match de foot, là se rêvant dépositaire de la mémoire de son pays. Lorsque, au bout d’une heure, Tom/Jack se retrouve face à la grande révélation qui retourne le concept entier du film comme un gant, l’effet est à la fois troublant et raté. Troublant, parce qu’un bon cinéaste aurait pu utiliser la vanité de sa star à son avantage (et à celui du film) : sans révéler la teneur du fameux twist, il y a là matière à jouer sur les notions de double, de miroir, voire de standardisation des critères physiques, sociaux et moraux de l’Homme. Raté, parce que Kosinski n’est pas De Palma, encore moins David Lynch et ne sait que faire de ces contraintes, si ce n’est capituler devant la Cruise Machine. Inutile de dire que tout le discours politique du film, sur fond de rébellion et de résistance, fait figure de gadget scénaristique à peine crédible… En dépit d’une intéressante bande-son électro signée M83, qui vient apporter un semblant d’étrangeté à une production parfaitement huilée, Oblivion ressemble à tout ce qu’il est censé dénoncer : docile, standardisé, et finalement un peu effrayant malgré lui.