On n’avait pas ressenti cela depuis un moment : l’excitation éprouvée devant le spectacle d’une grande machinerie qui se met en route, le petit vertige suscité par la mise en orbite d’un blockbuster inspiré et inspirant, le vrombissement sonore qui fait légèrement trembler les murs d’une salle. D’emblée, Kosinski se détache habilement de l’ombre écrasante du film de Tony Scott ; sur le plan de l’action et de la mise en scène des batailles célestes, l’original et sa suite n’ont même pas grand-chose à voir. Si le premier faisait du ciel la toile de fond d’un ballet sexuel débridé, le second envisage les impressionnantes séquences d’avions sous un angle plus métaphysique : la mise en scène de la vitesse ouvre sur une distorsion de la matière de l’espace, qui apparaît courbée et malaxée depuis l’intérieur des cockpits, mais aussi du temps, après lequel court le corps vieillissant de Maverick. Si les derniers films de Tom Cruise reposaient en grande partie sur l’accomplissement de cascades sophistiquées réalisées par l’acteur lui-même, Top Gun : Maverick remet la machine au cœur de l’action.
Ou plutôt, le corps se voit presque dissocié de l’action. Car il y a au fond deux films dans cette suite : l’un, racé, qui se déroule exclusivement dans le ciel, et l’autre, mélancolique, qui confronte Tom Cruise à son obsolescence programmée. Surprise : les deux sont par endroits très beaux. Dans les plis de l’organisation d’une mission périlleuse, Kosinski filme le retour de Cruise dans l’univers du Top Gun de 1986, avec un mélange d’innocence retrouvée et de hantise – le bar, la plage, les hangars du centre de formation sont peuplés de figures du passé (le personnage de Jennifer Connelly), mais aussi de fantômes (celui de Goose, l’ancien partenaire de Maverick). Ces dernières années, on a vu beaucoup de films verser dans la revisite nostalgique et passéiste d’un imaginaire, mais peu ont réellement pris à bras-le-corps la profonde tristesse qu’impliquent les retrouvailles avec des visages usés et prisonniers des souvenirs de leur jeunesse. Sur un point en particulier, le film ne fait pas les choses à moitié : la présence au casting de Val Kilmer, dont on sait grâce à un documentaire, Val (diffusé lors du dernier festival de Cannes), qu’il a été affecté il y a dix ans d’un cancer de la gorge dont il s’est remis, mais qui a altéré pour de bon sa voix et précipité peu ou prou la fin de sa carrière. Le film tire de cette vérité du corps de Kilmer une scène, très émouvante, où le héros retrouve son ancien rival. Iceman, muet, tape sur un clavier d’ordinateur et confronte Maverick à son déni : il est temps pour lui de lâcher prise. Et Tom Cruise, les larmes aux yeux, de glisser un aveu terrible, qui vaut autant pour son personnage que pour lui-même : « But I don’t know how. »
Alors, comment dire adieu à son passé ? Le dernier acte, un peu moins convaincant, altère l’émouvante harmonie qui liait jusqu’ici les deux films dans le film : naturellement, Tom Cruise n’est pas encore prêt à remiser son costume de demi-dieu. À bord d’un avion vétuste, le pilote prouvera qu’il en a encore sous le capot, tandis que la revitalisation du mythe prendra pour de bon le dessus sur le sensible mélange cultivé par le récit entre un retour aux origines (comme un adolescent, Maverick renoue avec son amour de jeunesse) et un aurevoir en bonne et due forme. Mais il en faudrait davantage pour réellement tempérer l’enthousiasme produit par le film, qui prouve que Hollywood peut encore produire de singuliers blockbusters et, heureuse nouvelle, qu’on n’en a pas fini avec Tom Cruise.