Alors que Reza, le personnage principal, mène innocemment son combat contre le corruption afin de mener une paisible vie de fermier, sa position intransigeante (ne pas succomber au jeu des pots-de-vin) semble absurdement inadaptée face à un système social et étatique corrompu — son terrain, convoité par une puissante organisation au bras long, est la cible d’actes de sabotages successifs. Mohammad Rasoulof, le cinéaste, n’a pourtant pas cherché à instrumentaliser le récit au profit d’une rhétorique militante qui s’attacherait à pointer les défaillances politiques de l’Iran, mais s’est laissé au contraire porter par un désir de fiction : les solutions trouvées par un être humain (Reza, son personnage, tout comme lui-même) pour s’octroyer un halo de paix et de liberté dans un environnement autoritaire et asphyxiant.
Les moyens du bord
Le film ressemble donc à un numéro d’acrobate avec la censure, puisque Rasoulof jongle entre piques ouvertes et jeu de suggestions : revendiquer une opposition politique, tout en osant évoquer des controverses jugées amorales (ambiguïté religieuse, consommation d’alcool, scènes d’intimité du couple). La mise en scène opte donc pour des subterfuges scénographiques proches de la parabole naïve ou de la litote visuelle : cacher une agression derrière la façade d’un mur ou d’un arbre, suggérer un acte sexuel par une casserole d’eau ébouillantée ou des rideaux tirés, etc… La narration, empreinte d’une certaine raideur, s’avère donc plutôt réservée et introvertie, comme une rage intériorisée qui grandit progressivement, construisant son récit par à‑coups. C’est-à-dire que la plupart des conflits et confrontations directes sont désamorcés au détour de séquences absorbant les tensions (l’élevage de poissons de Reza, la grotte cachée où le personnage part souvent se relaxer).
Topiques psychanalytiques
Reza apparaît donc comme l’alter ego de son réalisateur, pris dans la quête du passage au monde adulte : tenter de se dresser contre l’autorité établie et extérioriser enfin ce qui a été trop longtemps refoulé. Le film désigne ainsi les espaces incarnant la psyché du personnage. La grotte, tout d’abord, fait office de ça intérieur ou de jardin secret (Reza peut y boire, fumer et se laisser aller à l’abri des regards) ; la ferme familiale, de moi, zone intermédiaire entre la conscience de la réalité et son désir de liberté ; et l’ensemble des espaces publics (commissariat, école, rue) son surmoi, où Reza n’a d’autre réaction qu’une attitude renfrognée et parfois puérile, à la limite de l’hyperbole implosive : les yeux noirs de colère et la mâchoire serrée, le regard insistant, accompagnant chacune de ses apparitions et amplifiant l’impression de rigidité générale. Tout ce schéma de rage refoulée sous une carapace implacable se résume finalement dès le premier plan, celui d’une injection d’alcool fait-maison dans une pastèque.
Si ce rite de passage psychanalytique paraît donc un brin schématique, il semble nécessaire à son metteur en scène dans son propre cheminement. Lui qui a souvent été — et qu’il l’est à nouveau, puisque assigné à résidence suite à ce nouveau film — victime d’une entrave artistique au fil de sa carrière, Un homme intègre apparaît comme la nouvelle étape d’une prise de position affirmée, alors même que l’histoire s’avère dramatiquement pessimiste. Le mal qu’il y dépeint dans ce récit circulaire et impuissant semble profondément rattaché aux racines d’une société qui finit par corrompre les plus intègres, parfois à leur insu.