Que faire de sa foi lorsque le désir pointe le bout de son nez ? C’est, en substance, le thème de ce premier film de Katell Quillévéré, petit événement de la Quinzaine des Réalisateurs cette année. Un joli coup d’essai pas exempt de défauts, mais qui parvient à maintenir un bel équilibre entre rigueur (formelle), austérité (scénaristique) et fraîcheur (des comédiens), loin des références encombrantes (Cavalier, Dumont, voire Pialat) qui peuvent coller au corps dès qu’une œuvre se mêle de féminité et de religion.
Tout passe par la silhouette, fragile mais centrale, de Clara Augarde, intense révélation du film. La toute jeune fille interprète Anna, une adolescente qui revient de l’internat pour passer ses vacances dans la maison familiale, en Bretagne. Mais cet été-là ne sera assurément pas comme les précédents : son père a quitté la maison, sa mère est en pleine crise mystique et un jeune voisin lui fait de l’œil. Entre l’envie de faire sa communion et le désir charnel qui fait monter les températures, Anna ne sait plus à quel saint se vouer… Ce corps, pas totalement abouti et pourtant si féminin, est le fil conducteur que la réalisatrice ne lâche pas d’un bout à l’autre du film. On pourrait difficilement lui donner tort : la découverte progressive de sa propre sensualité par cette jeune fille, qui ne sait comment concilier la chair et l’esprit, est ce que le film a de plus réussi, particulièrement lorsqu’elle est mise à l’épreuve par son entourage, qu’il soit tour à tour complice ou réprobateur (la mère), taquin ou concupiscent (le grand-père – interprété par un Galabru dont la truculence a rarement été aussi bien employée), voire gentiment moralisateur (le curé). Le regard de la réalisatrice sur sa jeune comédienne est si fusionnel que l’on se plaît à deviner la part autobiographique du scénario… Mais Katell Quillévéré parvient à ne jamais tomber dans le symbolisme pesant ou la leçon de morale ronflante, en limitant la démonstration des tourments qui assaillent son héroïne à une poignée de plans : un évanouissement lors d’un enterrement puis un autre pendant une communion, un moment de doute lors de la réception de l’hostie, un oreiller serré un peu trop fort pendant la nuit, le désir déplacé d’un vieillard qui dégoûte d’abord puis invite à la provocation…
Cette économie d’effets a aussi ses limites et se retourne à plusieurs reprises contre le film : à trop vouloir suggérer, Un poison violent semble parfois inabouti, laissant ses personnages secondaires sur le carreau. C’est particulièrement dommage pour le personnage de la mère (Lio, parfaite) et pour celui du curé (Stefano Cassetti, le Roberto Succo de Cédric Kahn), dont la relation ambiguë aurait mérité un peu plus que ce qui est montré ici. Très court, le film semble avoir été monté avec le souci constant de centrer le récit sur son héroïne, alors qu’en dire plus sur son entourage aurait considérablement enrichi le personnage… Mais l’alliage subtil de provocation espiègle et de solennité maladroite, parfaitement à l’œuvre lors d’une irrésistible scène où Anna récite un poème lors d’une cérémonie funéraire, fait du film et de sa réalisatrice une des jolies découvertes cinématographiques de l’été.