Ours d’argent au dernier festival de Berlin, le dernier film de Wang Xiaoshuai (Beijing Bicycle, Shanghai Dreams) porte avec panache ses habits de mélo. Plus qu’un simple drame sur un thème certes émouvant mais quelque peu rebattu, Une famille chinoise dresse, par petites touches, un portrait inattendu d’une partie de la société chinoise contemporaine. Le titre international du film, In Love We Trust, assume la part mélodramatique de son sujet : il y est question effectivement d’amour et de confiance entre deux personnes qui ont autrefois fondé une famille, se sont séparées pour refaire leur vie et doivent, face à l’adversité, faire face à des choix dramatiques. Le titre choisi par le distributeur français du film est moins évident et pourtant, fort judicieux. Car s’il est effectivement ici question de liens familiaux, nous sommes dans un film résolument chinois qui balance au public occidental, l’air de rien, un portrait moderne de la classe moyenne supérieure de Pékin… comme on a rarement l’occasion de la voir.
Le scénario ne dépareillerait pas dans une superproduction hollywoodienne. Mei Zhu et Xiao Lu ont été mariés autrefois et ont eu une fille, l’adorable HeHe. Chacun a refait sa vie et si HeHe voit de temps en temps son père biologique, elle semble parfaitement heureuse auprès du nouvel époux de Mei Zhu, qui l’a d’ailleurs élevée comme sa propre fille. Mais lorsqu’ils découvrent que l’enfant est atteint d’une leucémie, Mei Zhu et Xiao Lu vont prendre des décisions qui auront des répercussions sur leurs vies personnelles, mais également sur celles de leur entourage… Un tel pitch pourrait légitimement faire redouter l’un de ces téléfilms dégoulinants qui encombrent les programmes télévisés à l’heure de la sieste. La contrainte rend Une famille chinoise d’autant plus passionnant : comment proposer quelque chose de neuf avec une histoire que l’on connaît a priori par cœur ?
Non seulement le scénario emprunte des chemins peu habituels dans ce genre de production, mais la mise en scène de Wang Xiaoshuai joue la carte de la sobriété en privilégiant l’étude pudique de caractères à la surenchère d’effets lacrymaux. Dans des décors urbains a priori gris et froids (immeubles impersonnels qui semblent se perdre dans le ciel blanc, chantiers anarchiques qui pourraient bien ne jamais se terminer), les personnages affrontent la banalité de leur quotidien en traînant une jolie mélancolie qui, en dépit de la tournure dramatique des événements, ne tombe jamais dans le glauque dépressif. C’est que ces personnages, contre toute attente, nous ressemblent terriblement. Ils sont agent immobilier, graphiste, maître d’œuvre sur des chantiers, hôtesse de l’air ; ils vivent dans un Pékin dépouillé de ses casseroles touristiques et ont les mêmes envies que vous et moi. Wang Xiaoshuai balaie d’un mouvement de caméra les lieux communs attendus sur la Chine d’aujourd’hui et montre une société en pleine évolution, qui se constitue une nouvelle identité en regardant droit devant tout en composant avec son héritage culturel et politique. À travers une poignée de personnages superbement humains, irritants et attachants à la fois (voir le beau personnage de la nouvelle épouse de Xiao Lu, aussi tête à claques que bouleversante), Wang Xiaoshuai signe à la fois un vrai et beau mélo (le dernier tiers du film semble à lui seul réinventer le genre), un splendide portrait de femme (celui de la mère, Mei Zhu, est l’un des plus beaux personnages féminins vus au cinéma cette année) et un compte-rendu sans faux-semblants d’une société que les médias occidentaux s’obstinent à ne pas vouloir voir. Une bien belle découverte, en somme.