Longtemps, Wang Xiaoshuai a été inscrit sur la liste noire du Bureau du Cinéma chinois. C’est Beijing Bicycle, Lion d’argent au festival de Berlin, qui l’a révélé à l’Europe en 2001. Empoignant la réalité sociale de la Chine, le cinéaste (enfant des brisées du communisme) signe un film fin et pessimiste. À voir; la Chine s’éveille…
L’œil de Wang Xiaoshuai est un rasoir sur lequel perle une goutte de sang. Shanghai Dreams, mélo contemporain cranté, prend pour toile de fond l’histoire de ces ouvriers des villes envoyés à l’intérieur du pays pour y former une « troisième ligne de défense » contre l’Union Soviétique. Installés depuis quinze ans à la campagne, les parents de Qing Hong ne supportent plus cette vie rurale et souhaitent rentrer à Shanghai. Leur fille, élevée dans ces contrées lointaines, ne comprend pas la raison de ce départ: c’est à Guizhou qu’elle a grandi et c’est à Guizhou qu’elle veut aimer et mener sa barque. Le conflit est d’abord familial. Cette polyphonie des désirs se calque sur la rhapsodie des voix: la voix suave de l’amie de Qing Hong, les cris du père (fouettard), les timides audaces de la mère…
Notons d’abord que Wang Xiaoshuai use de ressorts dramatiques traditionnels pour accoucher d’un scénario flamboyant de noirceur. Ce qui fait la qualité de ce film houleux, c’est la pudique mise en scène. Le cinéaste tourne un mélo et en prend le contre-pied: le cadre est toujours fixe, immobilisé dans de nombreux plans-séquences tandis qu’à l’intérieur du cadre les personnages s’agitent, se tourmentent, s’époumonent. Par ailleurs, la politique du hors champ sert admirablement Shanghai Dreams. L’équation est vieille comme le cinéma mais imparable, c’est d’ailleurs le secret de l’érotisme: moins le cinéaste montre, plus il suggère et plus le spectateur imagine. La scène de viol est singulièrement percutante tant les supplications surenchérissent sur l’absence d’images; le silence révèle les confessions les plus hideuses, une goutte de sang sur un doigt vomit la mort. Retenue et discrétion sont aussi les mots d’ordre des acteurs de Shanghai Dreams, collant ainsi à l’économie de gestes et de mots. L’ambiguïté des personnages repose sur le calme du non-dit et de la dissimulation. Silence porté par la force de l’interdit (interdit de sortir, de parler aux garçons, d’écrire des lettres, de respirer). Et ces tabous se heurtent au très beau personnage de l’héroïne qui n’est jamais celle qu’on croit: sainte ou putain ? La démence a le dernier mot.
On peut déplorer les quelques longueurs de Shanghai Dreams, mais la justesse de ton est telle qu’elle amenuise ces petites maladresses: Wang Xiaoshuai a à cœur de sertir cette société archaïsante, ce monde d’hommes impulsifs et mal dégrossis ravageant les âmes par une brusquerie presque animale. Chaudement recommandé.